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Opinion
Le Général Azem Bermandoa, porte-parole de l’armée tchadienne, a annoncé, le 20 avril 2021, à 11h00, sur les ondes de la télévision, le décès du président Idriss Déby. Le défunt, touché lors de combats dans le nord du pays, entre l’armée tchadienne et la rébellion du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), est décédé des suites de ses blessures. Selon certains observateurs, une réunion de négociations avec des membres du FACT se serait terminée par une fusillade qui aurait coûté la vie à feu Driss Deby. La présence du président tchadien sur le front ne surprend personne. En effet, il a toujours fait montre de courage et de bravoure en conduisant lui-même ses troupes au combat. C’est ainsi qu’il s’était trouvé, en avril 2020, à la tête d’une contre-offensive menée par l’armée du Tchad contre Boko Haram, après l’attaque qui avait coûté la vie à une centaine de militaires tchadiens aux abords du Lac Tchad.
Le décès du président Deby intervient à un moment où la région est traversée par des incertitudes :
- au Sahel, l’extrémisme violent sévit en dépit des efforts régionaux et internationaux et plonge la région dans des perspectives incertaines ;
- au Nord du Tchad, la Libye est engagée dans un processus de stabilisation encore titubant et la contingence devra durer au moins jusqu’au mois de décembre prochain, date butoir pour l’organisation des élections ;
- la situation est toujours fragile au Soudan. Le pays, qui vit encore une transition conduite conjointement par des militaires et des civils, est pris en tenaille entre l’Ethiopie et l’Egypte dans l’affaire du barrage de la renaissance et vit à l’heure de conflits frontaliers avec son voisin éthiopien et ;
- l’instabilité persistante en République centrafricaine ferme sur le Tchad un cercle de tourmente qui le place au centre d’un complexe régional de conflictualité.
De plus, le Tchad fait face à des attaques de la rébellion qui, sans déstabiliser complètement le pays, le soumettent à une pression continue qui érode ses moyens et entrave son développement. De son vivant, le président tchadien faisait également face à une farouche opposition de la part des frères Timan et Tom Erdibi, ses propres neveux.
Incertaines et complexes, la situation nationale du Tchad et la conjoncture régionale dans laquelle il évolue poussent à s’interroger sur l’avenir du pays. De quoi sera fait l’Après-Driss Deby ? La question concerne la région, mais tout dépend de l’évolution de la situation à l’intérieur. C’est sur cette situation que se penche ce Papier.
En Afrique comme à l’étranger, l’argument sécuritaire des militaires semble toléré
Dès l’annonce de la mort du président Deby, c’est l’armée qui prend l’initiative sous la conduite du fils du Maréchal du Tchad, le Général de Corps d’armée Mahamat Idriss Deby (37 ans), Directeur général des Services de Sécurité des Institutions de l’Etat (DGSSIE). C’est lui qui prend la tête du Conseil militaire de Transition (CMT), constitué d’une quinzaine de membres ayant quasiment tous occupé des fonctions de premier plan au sein des services de sécurité. Cette structure est censée conduire le pays durant une période de 18 mois pour le ramener à la normalité et à des élections libres, annoncées pour début 2023.
Dans la foulée, le Conseil suspend la Constitution, qui prévoit que, dans le cas de vacance de pouvoir à la tête de l’Etat, c’est le président de l’Assemblée nationale qui assume les fonctions de président de la république[1]. L’Assemblée nationale est dissoute et le gouvernement démis. Une nouvelle charte est rédigée, constituant désormais la loi fondamentale du Tchad. Au niveau africain, et même à l’échelon international, cette initiative ne semble recueillir ni approbation ni critique, mais plutôt une sorte de détournement du regard. Les condoléances des chefs d’Etat et de gouvernement sont adressées à la famille du président défunt et au peuple tchadien, sans mentionner dans leurs messages publics le nom du Conseil militaire. (voir exemples de messages ci-dessous).
La situation sécuritaire dans la région, et la menace de la rébellion qui pèse sur la stabilité du Tchad ont joué en faveur des mesures transitoires prises par les militaires. L’Union africaine (UA) se dit gravement préoccupée par la constitution d’un Conseil militaire, après avoir rappelé et condamné les actions de la rébellion ; une manière de rester conforme aux valeurs de démocratie et de bonne gouvernance, tout en comprenant et évitant de condamner les mesures prises par les autorités militaires (voir communiqué de l’UA ci-dessous).
Ces initiatives, qui n’ont, jusqu’à présent, pas soulevé de tollé à l’étranger, ne semblent pas avoir les mêmes effets au niveau national.
Au niveau national, c’est relativement plus compliqué
Malgré les déchirements et les conflits qui traversent les Zaghawa, ethnie du défunt président, ce dernier avait su habilement manœuvrer pour s’appuyer sur certains parents et proches, en tête desquels viennent ses fils, pour assurer à la fois cohésion pour l’action et étanchéité contre toute velléité hostile. Ce cercle restreint, fidèle au président, faisait le relais avec d’autres cercles, plus larges, et constituait une sorte de bouclier pour le régime (voir tableau ci-après). Nombreux sont les militaires de cette liste qui figurent aussi dans la composition du Conseil militaire de Transition, ce qui laisse présager une certaine continuité dans les coulisses de l’Etat, et l’adoption du même mode de gestion des différends internes et, donc, d’assurer le prolongement d’une certaine stabilité.
Certains avis sont pourtant pessimistes quant à l’aboutissement de la transition assurée par le Conseil militaire. Lesquels avis mettent en exergue les mouvements de l’opposition, les guerres intestines au sein même de la famille et les avancées dangereuses que semble enregistrer la rébellion dans le nord.
L’opposition tchadienne s’organise et se fait presque unanime pour contester la prise de pouvoir par les militaires. C’est le cas de l’Union des syndicats du Tchad dont le bureau « rejette que la transition soit assurée par les militaires », selon un communiqué (voir ci-dessous), diffusé le 21 avril.
Dans un communiqué, daté également du 21 avril, les rebelles du FACT indiquent également ne pas accepter la transition militaire et rejeter la charte rendue publique par le Conseil militaire de Transition (voir communiqué ci-dessous).
Au niveau familial, certains avancent que Mahamat Idriss Deby, l’actuel président du CMT, ferait l’objet de méfiance de la part des Zaghawa en raison des origines goranes de sa mère et de son épouse. Ils se posent également des questions sur les réactions futures des clans de la tribu Zaghawa et de leurs alliés Toubou et arabes Ouadaï. L’actuel homme fort du Tchad saura-t-il maintenir les équilibres fragiles entretenus par son père durant les trente dernières années ?
Les mouvements de contestation dans certaines villes du Sud et même dans certains arrondissements et les premières informations, dont certaines confirmées, sur des victimes (morts et blessés), suite aux interventions des forces de l’ordre, risquent de rendre plus compliquée une situation déjà complexe.
En conclusion, la disparition du Maréchal Driss Deby n’affecte pas seulement le Tchad, où la succession reste, pour le moment, ouverte sur toutes les éventualités, mais également la région du Sahel, et principalement le G5 Sahel, où le Tchad compte comme la principale force de lutte contre le terrorisme. Si une conjoncture défavorable au Tchad venait obliger ce dernier à retirer ses forces armées du Sahel et de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), l’effet négatif sur la lutte contre les groupes armés se ferait vite sentir.
[1] La Constitution tchadienne prévoit dans son article 76 qu'en cas de vacance de la présidence de la République, il revient au président de l'Assemblée nationale d'assumer la plupart des attributions du président.