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Opinion
La Commission de l’Union européenne (UE) a présenté, le 23 septembre 2020, son Pacte sur la migration et l’asile, supposé être l’un des piliers de la nouvelle présidence de l’instance exécutive. Sur ce sujet, devenu quasi-existentiel pour l’UE, l’ambition est de repenser la stratégie migratoire européenne, en prônant une approche pragmatique et réaliste pour faire face à ce « défi » dont les enjeux divisent profondément l’Union, depuis l’afflux des réfugiés en 2015, qui a renforcé les contrôles aux frontières de l’UE et surchargé les systèmes migratoires d’États d’Europe méridionale.
Il est évident que la migration a exacerbé les tensions entre les membres de l’UE. Les pays surchargés demandent plus de solidarité, par une répartition intra-européenne des réfugiés dans l’espoir de parvenir à une solution durable, tout en renforçant le contrôle extérieur des frontières. En revanche, le Groupe de Visegrád ou V4 (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) en plus de l'Autriche, rejettent catégoriquement toute répartition obligatoire de demandeurs d'asile ou de réfugiés reconnus. Cette désunion explique, entre autres, la dégradation des normes humanitaires, comme l’a démontré l’incendie du camp de Moria (Grèce) le 8 septembre. Le Pacte a été dévoilé deux semaines après l’incident.
Sur ce registre, la Commission, par une proposition sophistiquée en termes de communication et d’objectifs, tente de trouver un juste équilibre entre les États les plus favorables et les États les plus sceptiques en matière migratoire. Le thème de la migration a causé une fissure profonde au sein de l’UE, mais la réalité est que depuis 2015, le nombre d'arrivées de migrants irréguliers est passé d'environ un million à 130.000 en 2019[1]. Ceci est principalement dû aux pressions politiques internes au sein des nations européennes, qui perçoivent la migration comme une menace au bien-être économique et à l’identité européenne. Telles sont quelques-unes des divergences que la Commission tente d’aplanir.
En outre, le destin de ce Pacte n’est pas encore scellé. Il n’est pour l’instant que la base d’une proposition qui devra être examinée dans un long processus de négociations au sein des institutions européennes, avec l’espoir d’une entrée en vigueur en 2022. Donc, ce Pacte est loin d’être la future feuille de route de l'UE sur la migration.
À ce stade du long processus, il est légitime de s’interroger sur les apports de ce nouveau Pacte ?
Dublin est mort, vive Dublin !
L’objectif de la Commission, aussi bien durant le mandat de Jean-Claude Juncker (2014-2019) que celui de l’actuelle présidente, Ursula von der Leyen, est de réformer le système européen de migration et d’asile en « abolissant le règlement de Dublin »[2]. Ce dernier régule le système d’asile européen, dans la mesure où les demandeurs d'asile sont généralement considérés comme relevant de la responsabilité du pays par lequel ils sont entrés pour la première fois. Durant la crise humanitaire de 2015, ce système a été de facto suspendu, étant donné que les pays débordés n’appliquaient souvent pas le règlement, en faisant passer les demandeurs d'asile dans d’autres États, principalement l’Allemagne et la Suède, deux pays qui se sont fermement opposés à l'inclusion d'un mécanisme de solidarité pour la répartition des migrants dans le règlement de Dublin en 2013, jusqu’à ce qu'ils en aient fait la demande en 2015, lorsqu'ils ont eux-mêmes été affectés par les flux élevés.
C’est en temps de tensions que l’UE a fini par retrouver ses réflexes, quand Juncker annonça la révision du régime d’asile européen commun comprenant la refonte du règlement de Dublin, mais les négociations ont échoué lorsque les États d’Europe centrale ont rejeté la répartition des migrants à travers l’UE. Sur ce registre, la présidente de la Commission a confié à la Commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, et au Commissaire Margaritis Schinas, Vice-président de la Commission européenne, chargé des Migrations et de la Promotion du mode de vie européen, la responsabilité d’élaborer une feuille de route propre aux besoins européens.
Ainsi, le point central du Pacte est l’introduction du mécanisme de solidarité obligatoire mais flexible entre les États, basé sur deux piliers, la répartition et le parrainage de retour, tout en envisageant l’accélération des procédures de retour des migrants dans leurs pays d’origine et le resserrement des contrôles aux frontières extérieures. Si ces deux derniers peuvent faire l’objet de consensus entre les membres de l’UE, il n’en reste pas moins que la mise en œuvre du mécanisme de solidarité constitue le sujet de discordance.
Ce mécanisme est essentiellement un système complexe de partage de charges migratoires, auquel les États membres peuvent participer librement et de différentes manières, en fonction du nombre d’arrivées. Le Pacte prévoit un quota annuel volontaire de répartition intra-européenne qui sera principalement réservé aux opérations de sauvetage en mer, et fixé par la Commission. Ainsi, ce Pacte n'introduit pas réellement de mécanisme de répartition automatique, ce qui signifie que les pays méditerranéens continueront de supporter l'essentiel du fardeau. Les pays qui ne souhaitent pas accepter de migrants en provenance d'autres États doivent fournir une assistance financière à ceux qui ont une population de migrants plus importante. Bien que cela puisse aider financièrement les pays surchargés, ceux-ci resteront le principal point d'entrée des migrants et ainsi responsables de la plupart des demandes d'asile.
Les pays refusant la répartition peuvent aussi parrainer le retour des migrants, en s'engageant à assumer la responsabilité des migrants refoulés. Les États membres sont ainsi invités à mettre à profit leurs relations bilatérales avec des pays tiers afin de conclure des accords sur la réadmission de leurs ressortissants, mais si le rapatriement n'aboutit pas dans un délai de huit mois, l'État parrain est obligé d'accueillir les migrants en question, ce qui équivaut à une redistribution par la porte arrière. Cependant, les États surchargés ont la capacité d’activer le mécanisme de solidarité obligatoire pour une distribution des migrants, mais avec l’aval de la Commission. Ainsi, le rôle de l’instance exécutive de l’UE se voit renforcé, surtout en période de crise, dans la mesure où les États membres seront obligés de participer à la répartition ou au retour de migrants, sous peine de sanctions.
Ce mécanisme qui tente de trouver un équilibre entre des intérêts divergents est basé sur l’hypothèse que tous les États membres sont intéressés par un compromis, ce qui est loin d'être le cas. L’opposition du V4 et de l’Autriche au Pacte s'est faite connaître instantanément. Ces pays ne souhaitent pas une redistribution des migrants mais la fermeture totale des frontières[3].
Il est douteux que le contenu normatif du Pacte obtienne l’aval total des États membres. Certes, la Commission s'efforce de prendre en compte des positions très divergentes au sein de l’Union et avance des propositions louables, comme la dépénalisation du sauvetage maritime par les ONG, un mécanisme de surveillance pour prévenir les refoulements abusifs aux frontières, un plan de lutte contre le trafic d’êtres humains et la création d’une agence européenne pour l’asile. Mais, entre le refus, par le V4 et l’Autriche, d’une politique migratoire commune et contraignante, et la persistance d’arrangements ad hoc en termes de répartition des migrants entre États membres, la Commission a une tâche compliquée pour ériger un nouveau système migratoire européen, et le risque est que les négociations débouchent sur un accord sur des mesures restrictives, comme un resserrement supplémentaire des contrôles aux frontières extérieures. En ce sens, le Pacte reste synonyme du statu quo.
Et l’Afrique ?
L’intention qui sous-tend l’approche de la Commission est de faire passer un message fort à l’Afrique : tout migrant qui n’est pas un réfugié et arrivant illégalement en Europe sera renvoyé dans son pays d’origine. En ce sens, le Pacte s’inscrit dans une stratégie de dissuasion déjà opérationnelle, visant à décourager les migrants à opter pour la destination Europe, puisque près des deux tiers des demandes d'asile en Europe ont été rejetés en 2019[4].
Le texte évoque, aussi, certains éléments malmenant le partenariat Afrique-Europe, dans la mesure où l’octroi des visas aux pays tiers sera soumis à des restrictions ou à des facilitations, en fonction du niveau de coopération dans la réadmission des migrants refusés en Europe. Cette approche de la carotte et du bâton ne fera qu’exacerber les tensions avec le voisinage du Sud. Une politique de visa strict a déjà démontré son inefficacité à baisser les flux migratoires en encourageant les migrations irrégulières, qui renforcent les réseaux de traite des êtres humains et contribue à la montée des extrêmes droites. Mais, surtout, elle handicape la mobilité entre l’Afrique et l’Europe, notamment dans l’espace méditerranéen. Les populations de l’Afrique du Nord sont déjà excédées par des procédures de visa compliquées, et le Pacte promet un contrôle plus rigoureux pour l’entrée en Europe, avec l’inclusion de mesures sanitaires, conséquence directe de la pandémie de la Covid-19. Le Pacte manque d’approche équilibrée qui normalise la mobilité dans l’espace euro-méditerranéen.
Un dernier point, certes mineur pour l’UE, mais majeur pour l’Afrique et, surtout, pour le Maghreb. L’intention d’attirer les talents et la main-d’œuvre pour remplacer la population vieillissante en Europe afin de maintenir la machine économique en marche. Si l’UE voit aussi le migrant comme un agent économique substituable, cette vision pèse lourdement sur la réalité politique, économique et sociale au Maghreb, dont la fuite des cerveaux et le manque de ressources humaines qualifiées handicapent les plans de développement et, par conséquent, perpétuent les vagues migratoires irrégulières. À long terme, cette approche est contreproductive pour l’UE, mais il est temps que les pays maghrébins prennent conscience qu’ils sont en train de perdre la course mondiale aux talents dans cette ère d’hyper-compétitivité.
La géographie impose aux pays du Maghreb un rôle crucial dans la migration entre les deux continents, un rôle qu’ils devront assumer. Mais, ces pays éprouvent la même faiblesse que les capitales européennes : la désunion.
Sources :
- - Commission Staff Working Document - New Pact on Migration and Asylum. European Commission. 23/09/2020.
- - Speech by Commissioner Johansson on the New Pact on Migration and Asylum. European Commission. 23/09/2020.
- - Speech by Vice-President Schinas on the New Pact on Migration and Asylum. European Commission. 23/09/2020.
[1] Arrivals to Europe 2019. Flow Monitoring. IOM
Disponible sur le lien: https://migration.iom.int/europe?type=arrivals
[2] Dublin rule for asylum seekers to be replaced, EU’s von der Leyen says, France 24. 16/09/2020
[3] Hungary, Poland and Czech Republic oppose EU’s new migration pact. Euronews. 24/09/2020
[4] Statistiques sur l’asile. Eurostat.
Disponible sur le lien : https://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php?title=Asylum_statistics/fr#Les_d.C3.A9cisions_relatives_aux_demandes_d.E2.80.99asile