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Interviewée par Helmut Sorge, chroniqueur au PCNS, Rim Berahab, économiste spécialiste de l’énergie décortique dans son papier, les liens existant entre les énergies renouvelables en Afrique et les opportunités de croissance économique.
“ Le modèle marocain de l’énergie solaire pourrait profiter à d’autres pays africains”
Dans votre Policy Paper intitulé « Energies renouvelables en Afrique : Enjeux, défis et opportunités » vous expliquez l'importance de ces énergies et vous précisez que l'Afrique a connu une croissance économique sans précédent qui aurait été ralentie, entre autres, en raison d’un faible accès à l’énergie. Quels pays ont néanmoins réussi à se développer de manière significative grâce aux énergies renouvelables ?
Effectivement, le continent africain a connu un dynamisme économique remarquable à l’aube des années 2000, affichant des rythmes de progression de l’ordre de 5,2% en moyenne sur toute cette période. Désormais, l’économie africaine évolue à une vitesse inférieure et devrait s’établir à moyen terme à 4%. Ce ralentissement résulte de nombreux facteurs, dont la faible performance économique de l’environnement extérieur et la récente chute des prix des matières premières qui a surtout affecté les grandes économies africaines exportatrices de pétrole, comme le Nigéria et l’Angola. En même temps, l’Afrique, particulièrement subsaharienne, souffre d’un accès précaire à l’énergie, notamment à l’électricité, ce qui entrave certaines activités économiques. A ce jour, malgré l’abondance des ressources énergétiques renouvelables, leur part dans le mix énergétique africain est encore faible. De ce fait, on ne peut réellement parler de pays africains ayant réussi à se développer uniquement grâce aux énergies renouvelables, mais on peut citer ceux d’entre eux qui se sont engagés à relever la part de ces dernières dans leur mix. Il faut savoir que pour l’instant, les énergies renouvelables sont principalement utilisées pour la production d’électricité. Le Maroc, à titre d’exemple, a produit 35% de son électricité à partir de sources renouvelables en 2018, avec une puissance installée d'environ 3000 mégawatts, et vise à relever ce taux à 52% d’ici 2030. L’Afrique du Sud est un autre exemple, bien que son approvisionnement en électricité est actuellement fortement tributaire du charbon. Ce pays a vu la part des renouvelables dans la génération d’électricité s’élever à 4% en 2017, contre 2% en 2010. Des progrès sont réalisés, mais ils sont encore faibles, ce qui indique la présence d’un potentiel important non exploité.
Quelles sont les modalités de développement des énergies renouvelables en Afrique, plutôt le solaire, d’autres approches du solaire que le photovoltaïque, l'éolien, ou d'autres modèles encore ?
Historiquement, si l’on exclut la bioénergie issue de la biomasse, le secteur du renouvelable en Afrique a été dominé par l’hydroélectricité. Elle est, en effet, depuis longtemps un élément important dans de nombreux systèmes électriques africains avec un potentiel colossal. Il n’y a pas si longtemps, en 2010, l’énergie hydroélectrique représentait 98% de la capacité d’électricité renouvelables installée, puis 88% en 2014, pour finalement s’établir à 77% en 2019. Il y a, donc, une véritable volonté de diversifier les sources d’énergies renouvelables exploitées et d’explorer d’autres modèles. Actuellement, le solaire constitue une piste de développement prometteuse. Pour rebondir sur le chiffre précédent, la part du solaire dans la capacité renouvelable installée est passée de 1% à 13% en l’espace de 8 ans. Pour l’instant, les systèmes photovoltaïques sont la technologie électrique solaire la plus largement déployée sur le continent, bien que certains pays explorent de plus en plus l’option dite solaire thermique à concentration (CSP). L’avantage de l’énergie solaire est que contrairement à l’éolien, par exemple, elle est plus uniformément distribuée. En effet, la majeure partie du continent bénéficie en moyenne de plus de 320 jours de soleil par an, soit le double du niveau moyen en Allemagne, et la distribution du niveau d’irradiance est estimée à près de 2 000 kWh par mètre carré (kWh / m2) par an. Par ailleurs, les capacités construites jusqu’à présent comprennent à la fois des installations de grandes tailles mais aussi de petites tailles. Ces dernières, bien que ne représentant encore qu’une petite partie, deviennent le moyen le plus populaire et le moins cher pour produire de l’électricité hors réseau. Ces initiatives hors réseau et mini-réseau ont d’ailleurs pris beaucoup d’ampleur ces dernières années dans plusieurs pays d'Afrique, car elles permettent aux communautés rurales reculées d’accéder à l’électricité même si elles ne sont pas raccordées au réseau. Mais, au final, chaque pays développera son secteur du renouvelable en fonction de la distribution des ressources dont il dispose. Et encore, cela ne constitue pas une garantie. L’engagement des Etats et des gouvernements envers les renouvelables demeure primordial pour leur développement à grande échelle.
Le ralentissement actuel de la croissance économique est-il dû uniquement à cette absence de développement énergétique? Si ce secteur semble si prometteur, comment expliquer que les Etats tardent à le soutenir? Est-ce par facilité (recours aux énergies carbonées) ou par manque de conviction? Ou une réelle absence de prise de conscience des potentiels de ces énergies ?
Bien sûr que non. Comme je l’ai évoqué précédemment, le ralentissement que connait l’Afrique ces dernières années est dû à plusieurs facteurs. Là encore, il faudrait nuancer, car même si on parle d’un essoufflement, la croissante du continent continue tout de même à être supérieure à celle de la moyenne mondiale. Il est vrai que l’Afrique n’a pas ressenti de plein fouet les répercussions de la crise économique et financière de 2008, à l’inverse de ses principaux partenaires, tels que les États-Unis, l’Union européenne et la Chine. Mais cela a tout de même eu une incidence sur la croissance des pays africains. Au niveau continental, la croissance régionale été freinée en grande partie par les résultats médiocres des trois plus grandes économies d'Afrique subsaharienne – l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Angola - qui représentent près de 60 % de sa production économique globale. Le Nigeria et l'Angola ont tous deux vu leur production pétrolière, une ressource qui représente environ la moitié des recettes publiques de leurs économies respectives, chuter considérablement depuis la baisse des prix des matières premières survenue en 2014. Dans le même temps, la reprise de l'Afrique du Sud après la récession a été freinée par le faible niveau des investissements, ce qui fait écho à une baisse de la confiance des entreprises. Dans ce même contexte, l’Afrique fait face à un sérieux problème d’accès à l’électricité. Elle détient le taux d’électrification le plus faible parmi les pays en développement, environ à 52%, en 2016, contre 89% pour les pays en développement d’Asie par exemple. Bien que des évolutions positives aient été réalisées ces dernières années, les progrès demeurent inégaux parmi les régions. En effet, si le taux d’accès à l’électricité en Afrique du Nord a atteint les 100%, il demeure limité à 43% en Afrique subsaharienne où 588 millions de personnes n’ont encore pas accès à l’électricité. Dès lors, cet accès précaire à l’électricité a des répercussions néfastes, non seulement sur les populations, mais aussi sur l’activité économique, particulièrement dans le secteur industriel.
Il est vrai qu’en dépit des enjeux du secteur énergétique, notamment en matière de sécurité d’approvisionnement, le secteur des renouvelables demeure confronté à de nombreux défis. Il y a, d’un côté, des défis de perception. Il y a dix ans, personne n’aurait misé sur les énergies renouvelables compte tenu de leurs coûts élevés par rapport aux énergies fossiles, malgré la volatilité des prix de ces dernières. Or, durant les dernières années les coûts technologiques des énergies renouvelables ont considérablement diminué, les rendant ainsi de plus en plus compétitives dans un nombre croissant de pays. Il est aussi vrai que leur développement dépend des priorités des Etats concernés et de leurs fermes engagements en matière de politique des énergies renouvelables, comme cela est le cas pour l’Afrique du Sud, le Maroc, l’Egypte et l’Ethiopie qui, ensemble, représentent près de 40% de la capacité électrique renouvelable installée du continent. D’un autre côté, et à l’instar de la plupart des projets d’infrastructure, les projets d’énergie renouvelable nécessitent d’importantes ressources financières et une longue période de construction et de retour sur investissement. C’est donc là des obstacles majeurs pour le déploiement de ces énergies en Afrique. D’un côté, la compétition avec les projets d’énergies fossiles est indéniable, d’autant plus que les coûts implicites associés aux projets d’énergies fossiles ne sont pas souvent pris en compte dans les évaluations des investisseurs, ce qui ferait pencher la balance en faveur des énergies fossiles. Aussi, le profil d’investissement des énergies renouvelables est drastiquement différent de celui des énergies fossiles. En effet, les projets d’énergies renouvelables nécessitent des investissements importants en amont, bien que leurs coûts d’exploitation sont ensuite réduits. Aussi, les investisseurs doivent être convaincus que le projet sera rentable et réalisera les performances proposées pendant la période de financement. Outre ces obstacles financiers, une autre catégorie d’obstacles comprend le manque de capacités des gouvernements à développer et à mettre en place le cadre administratif adéquat pour favoriser les investissements dans les projets d’énergie renouvelable et leur exécution. D’une part, les parties prenantes, en particulier les décideurs, les financiers et les banquiers seraient réticents à financer ces projets, vu leur manque d’expérience et de familiarité avec ces secteurs. D’autre part, les retards dans les délais de développement de projets, qui sont déterminants pour la viabilité d’un projet d’infrastructure en général, et à fortiori pour un projet d’énergies renouvelables, ont tendance à décourager les investisseurs.
Le Maroc est considéré comme pionnier dans l'énergie solaire. Parleriez-vous de modèle en Afrique ?
Tout à fait. Dans le cadre de sa stratégie d'utilisation de l'énergie, le Maroc accorde la priorité au développement des énergies renouvelables, particulièrement le solaire, avec un large éventail d'opportunités d'investissement dans le secteur du solaire thermique (CSP) et photovoltaïque (PV). Je rappelle que le complexe NOOR Ouarzazate est constitué de 4 sites avec une capacité de 160 MW déjà en service et plus de 1000 MW en construction. Les économies d’émissions de carbone sont considérables, 280000 tonne/année rien pour le complexe NOOR 1. Ces projets ont non seulement un impact environnemental majeur, mais bénéficient également aux populations locales. Dans cette optique, le Maroc constitue une « success story » en ce qui concerne l’énergie solaire et ce modèle pourrait profiter à d’autres pays africains, à condition de l’adapter à leurs contextes économiques, politiques et sociaux.