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Opinion
La seconde thématique des Dialogues stratégiques, dont la 6ème édition s’est tenue le 4 octobre 2018 à Paris, a porté sur les réformes en cours au sein de l’organisation panafricaine. La rencontre est d’abord revenue sur le contexte global dans lequel opère l’Union africaine (UA).
La géopolitique en Afrique n’est pas seulement menée par les ex-puissances coloniales et la Chine, mais bien par les pays africains eux-mêmes, a ainsi rappelé l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine. Afrique du Sud, Nigeria, Rwanda, Ghana… « Une douzaine de pays ont une politique africaine, mais aucun ne traite de l’Afrique en général », a-t-il souligné. Aucune «vraie coordination» n’existe dans le bloc Atlantique ni même au sein de l’Union européenne sur l’approche de l’Afrique. La Chine, au contraire, est peut-être le «seul pays au monde à avoir une politique africaine partout, dans chaque pays, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit pro-africaine».
La fin de la « parenthèse occidentale »
Hubert Védrine estime que dans la reconfiguration en cours, « les dirigeants africains jouent du partenariat avec la Chine pour montrer aux Occidentaux qu’ils ne peuvent pas faire la loi, sans pour autant avoir envie de se retrouver seuls avec les Chinois ». L’une de ses hypothèses d’avenir porte sur une position commune des puissances africaines, notamment sur les montants des investissements étrangers et l’installation de bases militaires étrangères. « Il n’y a pas de soleil africain à attendre des organisations régionales africaines, mais si les Africains parviennent à s’organiser sur quelques point clés, la Chine, l’Europe et les Etats-Unis seront obligés d’admettre qu’ils ne peuvent pas aller en Afrique comme dans un supermarché prendre ce dont ils ont besoin – il faudra une discussion. » Moubarak Lo, conseiller économique du Premier ministre du Sénégal et Fellow d’OCP Policy Center, a objecté sur la question des organisations sous-régionales, rappelant que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a fait la preuve de son efficacité.
A une question sur la rivalité qui pointe entre la Chine et les Etats-Unis à Djibouti, en Ethiopie et en Erythrée, Hubert Védrine a répondu que du côté chinois, « on a des ingénieurs de la décision politique qui raisonnent à long terme », tandis qu’aux Etats-Unis, le « Pentagone ou le chef du bureau de l’Afrique des Grands lacs au département d’Etat ont tous les deux une politique africaine ». Par ailleurs, il estime que « Djibouti se trouve en Afrique, mais n’est pas l’Afrique », en raison de sa proximité avec le Moyen-Orient, notamment l’Iran et l’Arabie Saoudite.
Volonté politique d’autonomie
La question de la gouvernance de l’UA s’inscrit dans une quête globale d’autonomie, ainsi que le passage en 2001 d’un principe de non ingérence à celui de « non indifférence ». L’UA s’est dotée d’une architecture africaine de paix et vise à créer une force d’interposition qui lui soit propre.
Le traité créant en 2018 une zone de libre-échange continentale (CFTA) témoigne d’une volonté politique d’autonomie. Autre signal fort : l’ouverture des négociations pour le renouvellement des accords ACP – un groupe dont 31 chefs d’Etat africains veulent sortir. L’autonomie stratégique recherchée par l’agenda Afrique 2063, défini en 2013, s’inscrit quant à elle dans le contexte de l’opération Serval au Mali. Une intervention française « perçue par la présidente de la Commission de l’époque, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, comme une véritable humiliation », a souligné Nicolas Desgrais, chercheur associé au Centre HEC de géopolitique.
Sous l’impulsion de Paul Kagamé, son président en 2018, l’Union africaine a certes fait des progrès en matière de réformes. Le « Peace Fund » de l’UA, dont le Haut représentant depuis janvier 2016 n’est autre que Donald Kaberuka, ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), vise 400 millions de dollars de contributions africaines d’ici 2020. L’objectif est d’avoir un financement à moyen terme de 25 % des opérations de paix et de sécurité par l’Afrique elle-même.
Financement des opérations africaines de maintien de la paix
Le défi financier risque de « se poser encore longtemps » selon Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France, tous les pays de l’UA n’étant pas d’accord pour verser une taxe de 0,2 % sur leurs importations. « Certains pays n’ont pas envie d’avoir une UA forte susceptible de corroder leur souveraineté et leur influence », rappelle Malik Abbadi, Research Assistant à OCP Policy Center. En outre, poursuit Malik Abbadi, avec le président égyptien Abdel Fattah el-Sisi à la tête de l’UA en 2019, « on risque de faire face à un abandon même temporaire des réformes, pour aller vers le maintien de la paix en Libye et dans les deux Soudan, des voisins problématiques de l’Egypte dans lesquels l’UA a pu accomplir très peu ».
Autre signal négatif : les forces régionales ad hoc telles que la Force multinationale mixte (FMM) dans le Bassin du lac Tchac et le G5 Sahel questionnent l’efficacité de l’UA, y compris en tant que canal d’acheminement de l’aide internationale. Les 50 millions d’euros provenant de l’Union européenne (UE) pour soutenir la FMM devaient passer par l’UA, qui se voit contourner pour le financement du G5 Sahel, les contributions de l’UE passant par Expertise France.
De nouvelles avancées ne sont pas exclues pour autant, depuis que l’UA cherche à conclure avec les Nations unies un accord de partenariat stratégique pour partager le fardeau du maintien de la paix. «On pourrait même se diriger vers un accord tripartite UA-UE-Onu, dans la mesure où l’UE a financé depuis 2007 l’Amisom, mission africaine déployée en Somalie, à hauteur de 1,5 milliard d’euros », a noté Nicolas Desgrais.
Sources de conflits et perspectives de résolution
Les inégalités, le chômage et la précarité poussent les populations en Afrique à se déplacer – des mouvements qui sont aussi des causes de conflits. De plus en plus, estime Abdelhak Bassou, Senior Fellow à OCP Policy Center, les « conflits sont insurrectionnels, avec des groupes armés qui se dotent d’avions pour faire des frappes aériennes, afin de pousser les populations à partir et isoler l’ennemi ». Et de s’interroger sur le fait que la brigade d’intervention de la Cédéao ne soit pas appelée dans le Sahel, où il existe un risque de jonction des groupes armés entre les zones du lac Tchad et le Liptako-Gourma, pour l’instant traitées différemment.
Les solutions s’avèrent toujours multilatérales, selon le général Olivier Tramond, ancien directeur du Centre de doctrine d’emploi des forces et conseiller militaire de Safran Défense. « Les crises sont complexes dans des zones immenses, des espaces désertiques et ouverts. Des mouvements violents et transnationaux visent des intérêts étatiques. Des groupes aguerris et déterminés attisent les conflits, tout en étant aussi mafieux ». Si la France joue un rôle « responsable », considère le général Tramond, « les opérations de maintien de la paix sont structurantes, avec un démultiplicateur d’effets qui réduit les lacunes des uns et des autres ».
D’autres solutions résident dans l’essor économique de l’Afrique, tout l’enjeu portant sur l’industrialisation du continent, outre le projet d’intégration commerciale, qui ne se «fera qu’en résolvant les problèmes techniques qui entravent le commerce continental», a résumé Larabi Jaïdi, Senior Fellow à OCP Policy Center. Un changement de paradigme s’avère impératif, avec un accent plus étroit sur l’axe sécurité-migration-déveleppoment sectoriel. Ce qui nécessite une vision d’ensemble, aussi bien au niveau de l’UA que des partenaires de l’Afrique, tels que l’UE, avec des stratégies spécifiques pour chaque pays.