Publications /
Opinion
Le nouveau coronavirus est apparu en Chine et, jusqu’à début mars, s'est propagé dans plus de 90 pays. Le virus a fait son apparition au Maroc avec seulement deux cas importés connus, mais sans tests généralisés. Il est impossible de déterminer l'ampleur de sa propagation.
On ne sait pas grand-chose sur le virus. Mais, ce que l'on sait déjà est extrêmement important pour les décideurs politiques qui tentent d'élaborer une réponse appropriée.
Le Maroc pourrait être aussi exposé à la propagation du virus, compte tenu de sa proximité avec l'Europe où le virus est déjà répandu, et qui en abrite un nouvel épicentre dans le nord de l'Italie. L'Italie abrite, en effet, une importante communauté marocaine. Selon une analyse de l‘Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le Maroc a un système médical relativement efficace (résultats par rapport au coût). Mais les ressources du système médical marocain sont limitées (et inégalement distribuées sur le territoire national) : les dépenses médicales du Maroc, exprimées en Dollars US (PPP) représentent moins d’un huitième de ce que dépense l’Italie et 60% de ce que dépense la Chine. Un index de préparation à faire face à une épidémie, le Global Health Security Index[1], place le Maroc 68e sur 195 pays et 4e en Afrique (après l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Ouganda), le continent le moins prêt.
Il faut noter, également, que les perturbations causées par le virus, en particulier en Chine, en Italie et dans des secteurs comme les compagnies aériennes et les voyages, pourraient avoir un effet majeur sur la croissance mondiale au cours des prochains trimestres. On redoute, déjà, une récession en France et en Italie. Même si le Maroc peut bénéficier d'un certain soulagement, suite à la chute brutale des cours du pétrole au début de l’année (de 70 USD à 50 USD), un ralentissement mondial affectera le Maroc à bien des égards. Par exemple, selon les données du Fonds Monétaire International, le Maroc a vu son déficit budgétaire se creuser de 5% du P.I.B. pendant la dernière récession globale, la Crise financière de 2008-2010.
Presque toutes les informations médicales disponibles sur l'épidémie proviennent de Chine[2] qui compte encore environ 8 cas sur 9 dans le monde en ce début du mois de mars. Compte tenu de la nature politiquement chargée de cette épidémie, toutes les informations sur le virus doivent être traitées avec prudence. Toutefois, les données chinoises ont été confirmées dans divers contextes par l'OMS et sont largement utilisées comme guide dans des pays comme l'Iran, l'Italie ou les États-Unis. Voici ce que l'on sait des conséquences médicales et économiques du virus et de certaines des implications politiques probables au Maroc :
- Comme Salma Daoudi l'a écrit dans son Opinion, le nouveau coronavirus (connu officiellement sous le nom de Covid19) est très dangereux : depuis fin décembre, il a infecté près de 100000 personnes et en a tué plus de 3.500. Il est également très contagieux, quoique moins que la grippe ordinaire, selon l'OMS. Les décideurs politiques qui ne prennent pas de mesures de précaution faillent à leurs responsabilités. Par exemple, l'administration américaine, bien qu'elle ait bloqué de nombreux vols, a fait l'objet de sévères critiques pour ne pas s'être préparée de manière adéquate. Il est certain que le Maroc devrait envisager de bloquer les vols en provenance des zones les plus touchées et d'établir des quarantaines et des tests pour les voyageurs en provenance de ces zones. Bien sûr, les Marocains qui rentrent dans leur pays doivent être autorisés à le faire, mais ceux qui viennent des zones touchées ou qui ont visité ces zones récemment doivent être testés et mis en quarantaine Il est, aujourd'hui, possible d'effectuer un test de dépistage du coronavirus assez fiable (prélèvements effectués au niveau de la gorge, etc.) et d'obtenir des résultats en 5-6 heures. Compte tenu de sa dépendance à l'égard du tourisme européen, cette décision n'est pas facile à prendre pour le Maroc, mais c'est un moyen d'arrêter ou, du moins, de ralentir la propagation du virus. Il est également important de décourager les ressortissants marocains de se rendre dans les régions touchées. Par ailleurs, certaines mesures ont été prises par les autorités de tutelle en annulant tous les évènements qui connaitraient la participation de personnes venant de l’étranger[3].
- Plus de 80 % des infections par le Covid19 sont bénignes et sont combattues avec succès par un système immunitaire sain. Mais, il n'existe pas de remède éprouvé et il n'y a pas de vaccin pour éviter l'infection. D'énormes efforts sont actuellement déployés pour trouver des remèdes et des cocktails expérimentaux de médicaments antiviraux sont utilisés, mais l'expérience des récentes épidémies de virus (SRAS, MERS et Ébola) n'est pas encourageante. Les antibiotiques aident à lutter contre l'infection et les soins intensifs (incubation, etc.) peuvent augmenter les chances de guérison, mais il s'agit de mesures curatives importantes, et non de traitements. Il est fort probable qu'un vaccin sera trouvé, mais le calendrier est très incertain. En effet, les vaccins, une fois découverts, doivent être testés avec soin chez l'humain avant de pouvoir être utilisés en toute sécurité et, ensuite, être produits en masse en milliards de doses. Malgré le fait qu’il y a déjà au moins vingt initiatives privées et publiques à travers le monde pour le découvrir, personne ne pense qu'un vaccin sera accessible à grande échelle dans un délai de moins d'un an, date à laquelle le virus pourrait avoir infecté une grande partie de la population mondiale. Le virus pourrait également muter en une forme plus mortelle. Cela implique, bien sûr, qu'il est important d'agir rapidement pour contenir la maladie.
- Les mesures traditionnelles visant à isoler les personnes infectées ont un coût personnel et des conséquences économiques négatives considérables, tant sur l'offre que sur la demande économique. Ceci étant, lorsque la volonté politique et la capacité d'exécution existent, elles fonctionnent. La Chine a efficacement placé en quarantaine des villes et des régions abritant 100 millions de personnes, retardé le retour des grandes vacances d'une à deux semaines et imposé diverses restrictions à la circulation et aux grands rassemblements dans l'ensemble du pays. Il apparaît que l'épidémie a été contenue dans la province du Hubei, l'épicentre de l'épidémie, qui concentre environ 83% de tous les cas en Chine. À Hubei, justement, le nombre de nouveaux cas a chuté abruptement au cours des dernières semaines et, ailleurs, on ne signale qu'une douzaine ou deux de nouveaux cas par jour et presque pas de décès. Bien qu'il soit trop tôt pour que les Chinois crient victoire, l'attention des décideurs politiques chinois est désormais tournée vers le redémarrage de l'économie, l'investissement dans un vaccin et d'autres mesures pour éviter une répétition et la limitation des contacts avec les nouveaux épicentres du virus en dehors de la Chine. Les autorités italiennes suivent essentiellement le plan d'action chinois, visant à contenir le virus dans une « zone rouge » couvrant les régions de la Lombardie et de la Vénétie.
- Le taux brut de mortalité associé au virus, tel qu'annoncé récemment par l'OMS, est de 3,4 % des cas déclarés. Mais ce chiffre, bien que techniquement correct, gonfle probablement le taux de mortalité. Quatre raisons principales expliquent l'exagération du taux de mortalité. Premièrement, parce qu'au début de l'épidémie, seuls les cas les plus graves sont connus (les cas moins graves sont généralement attribués à la grippe). Deuxièmement, parce que le dépistage du virus est compliqué et que la capacité de test est très limitée, ce qui explique que le nombre d'infections soit insuffisamment déclaré. Troisièmement, parce qu'au début de l'épidémie, les médecins continuent d'apprendre à diagnostiquer correctement la maladie et à prendre des mesures curatives.
- Quatrièmement, et cela est d'une importance vitale pour la formulation de politiques, au début de l'épidémie, les installations médicales de l'épicentre sont débordées. Le taux de mortalité est bien plus élevé qu'il ne devrait l'être, faute de tout ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence : médecins, infirmières, kits de dépistage, équipements de protection pour le personnel médical, médicaments, lits d'hôpitaux, respirateurs, etc. L'implication politique est que le contrôle de la vitesse de propagation du virus à ses premiers stades est vital, afin de donner au système le temps de se préparer et de répondre de manière adéquate. Si les infections se concentrent dans une région particulière, le Maroc doit être prêt pour renforcer la capacité médicale dans cette région en réorientant le personnel, les fournitures et le matériel de l'extérieur de l'épicentre.
- L'expérience chinoise illustre les dangers que présentent des établissements médicaux débordés. Au tout début de l'épidémie, les patients dont les symptômes sont apparus entre le 1er et le 10 janvier 2020 ont enregistré un taux de mortalité de 15,6 %, alors que ceux dont les symptômes sont apparus entre le 1er et le 11 février ont enregistré un taux de mortalité de 0,8 %. Le taux global de mortalité en dehors de la province de Hubei ne représentait qu'une fraction de celui de l'épicentre, soit seulement 0,7 % au début, et a continué à baisser pour se situer à 0,4 % dernièrement. Ces taux de mortalité sont toutefois 4 à 7 fois plus élevés que ceux associés à la grippe.
- Comme tout chiffre unique décrivant un phénomène complexe, le taux brut de mortalité est trompeur à d'autres égards. Il masque des différences entre les populations qui ont une signification politique importante. Le Covid19 est bien mieux combattu par les jeunes que par les personnes âgées et les personnes souffrant de maladies graves préexistantes dont le système immunitaire est déjà affaibli. Ainsi, le taux de mortalité parmi les personnes de plus de 80 ans en Chine était de 15%, de 8% parmi les personnes âgées de 70 à 79 ans, alors qu'il était infime parmi les jeunes. De plus, parmi les infections déclarées, les moins de 20 ans ne représentaient que 1 % et presque pas de fatalités. En Italie, presque tous les patients nécessitant des soins intensifs sont des personnes âgées, dont beaucoup souffrent de maladies graves préexistantes comme les maladies cardiovasculaires ou le diabète. Ceci rend plus difficile l’identification de la cause des décès. Dans le cas du paquebot « Diamond Princess » mis en quarantaine par les autorités japonaises pendant plusieurs semaines, sur 3700 passagers (relativement sains puisque prêts à voyager) , à peu près 700 sont positifs, mais seulement 7 sont décédés, tous plus âgés de plus de 70 ans[4].
L'un des principaux messages politiques est qu'il faut veiller à éviter l'infection chez les personnes âgées. Plus les infections chez cette catégorie de la population sont contenues, moins les systèmes médicaux risquent d'être débordés. Cela ne signifie pas que les jeunes sont en totale sécurité ; chacun doit prendre des précautions (se laver souvent les mains, etc.). Mais cela signifie que si les infections chez les personnes âgées sont contrôlées, d'autres mesures peuvent s'avérer moins nécessaires. Par exemple, il peut être moins coûteux et plus efficace de demander à toutes les personnes de plus de 70 ans au Maroc, à l’instar de l’Italie et certains autres pays touchés, de rester chez elles et d'isoler les maisons de retraite que de fermer toutes les écoles, les universités et les entreprises des régions les plus touchées. Et comme ce sont elles qui sont les plus exposées, les personnes âgées devraient être soumises à un test de dépistage précoce du virus.
L'expérience chinoise montre que le coronavirus peut être contenu à un coût considérable, certes, à condition que des mesures ciblées soient prises rapidement et de manière préventive. Des scénarios bien pires peuvent être évités de cette manière.
La chance jouera également un rôle. Peut-être que, comme pour d'autres épidémies de grippe, la hausse des températures apportera un soulagement dans les pays de l'hémisphère nord, bien que les experts n'en soient pas sûrs. Il est possible que le ralentissement notable de l'épidémie en Chine soit en partie dû au fait que le virus a muté vers une forme moins dangereuse. Une étude préliminaire menée par des chercheurs chinois a révélé que quelque 30 % des cas, dont beaucoup sont apparus en dehors du Hubei, sont liés à un type moins agressif du virus.
[2] Voir l'étude épidémiologique complète de près de 80000 cas en Chine https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2762130
[3] Note du Ministère marocain de l’Intérieur du 04 mars 2020
[4] Voir l’analyse d’un professeur en épidémiologie de Harvard: https://slate.com/technology/2020/03/coronavirus-mortality-rate-lower-than-we-think.html