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Opinion
A la veille des ultimes négociations sur les « relations futures », un accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) paraît probable.
D’abord, Londres voit s’envoler l’appui américain : contrairement à Donald Trump, le président élu Joe Biden est défavorable au Brexit. Il a annoncé qu’un accord commercial USA-Royaume-Uni serait exclu si une « frontière dure » était rétablie entre les deux Irlandes. Or, c’est justement ce qu’impliquerait une sortie sans accord : l’Irlande du nord deviendrait un territoire extra-communautaire soumis à contrôles douaniers pour ses échanges avec Dublin.
Un accord commercial avec les Etats-Unis sera indispensable pour valoriser le Brexit. L’élection américaine rétrécit ainsi la marge de manœuvre britannique. La signature d’un accord est aujourd’hui d’autant plus probable que, même sans l’arrivée d’un nouveau président aux Etats-Unis, une sortie sans accord aurait été, en réalité, peu probable.
La vraie raison tient aux « incitatifs » pesant sur l’Union européenne et le Royaume-Uni. Chacune des deux parties y perdrait, du fait des obstacles qui viendraient brusquement perturber leurs échanges. Après 47 années d’adhésion, ces échanges sont multiformes. Desserrer de tels liens réclame mille et une précautions. Possible avec un accord, impossible sans.
Peu importe la répartition des dommages : le résultat serait perdant-perdant. En pleine crise Covid-19, l’opinion publique ne comprendrait pas.
Par ailleurs, Londres présidera, en 2021, deux réunions internationales majeures : le Sommet du G7 et la Conférence sur le climat (COP26). Pour briller diplomatiquement, Johnson aura besoin du soutien américain et européen.
Le point-clé à décoder réside dans le profil du Premier ministre. S’il a affiché avec Trump une proximité, devenue lourde à porter depuis le 3 novembre, ceci ne signifie pas que l’équation politique des deux dirigeants soit identique. Le PM Johnson fait partie de l’élite britannique. En bon biographe de Churchill, il ne fait qu’user du « droit à l’excentricité » que cette élite revendique depuis longtemps. Ce droit est synonyme de liberté d’esprit, non de refus du réel. Le « populisme » de Johnson est relatif : lors du référendum de 2016, il n’avait opté pour le Brexit qu’au dernier moment. Et il a rapidement reconnu l’élection de Biden.
En réalité, le PM Johnson est l’homme de la « solution d’un problème », celui dans lequel sa prédécesseure Teresa May s’était empêtrée. Ce problème est le suivant : comment consentir aux (lourdes) concessions nécessaires à un accord sans blesser la fierté britannique ?
Casse-tête redoutable : en quittant l’Union européenne, Londres perd sa voix au chapitre, sans en finir vraiment avec les règles européennes, clés de l’indispensable accès au marché européen. Comment masquer ce résultat mitigé, peu conforme aux perspectives promises par les brexiters aux électeurs ?
Une seule méthode est possible : elle consiste à valoriser fortement, vis-à-vis de l’opinion publique nationale, et par tous les moyens, les quelques concessions que Londres aura arrachées. Parallèlement, celles consenties en retour seront minimisées. Cette méthode est familière aux ministres nationaux négociant à Bruxelles quand ils sont exposés chez eux à la surenchère des lobbies. Johnson connaît le procédé, car il a été correspondant de presse à Bruxelles. Il a décidé de l’employer à grande échelle. Là est son « secret ».
L’une des tactiques consiste à faire monter la tension avant une réunion pour paraître intraitable. C’est ce qu’avait fait Londres, en 2019, pour l’accord de divorce, signé in extremis et ratifié par la Chambre des Communes à une forte majorité. Pour pimenter l’exercice, l’on peut agiter des menaces. Plus elles sont provocantes, plus l’impact médiatique sera fort. C’est ainsi qu’il faut décoder le fameux projet consistant à ne plus respecter les « accords passés ». La tempête soulevée au Parlement britannique, loin d’être un désagrément, sert la tactique de Johnson.
Seul souci : savoir jusqu’où « aller trop loin ». Pour éviter la rupture, il faut rester réaliste et lâcher, discrètement, les concessions nécessaires. Parce qu’il est populiste d’adoption et non de tradition, Boris Johnson en est capable.