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Opinion
« Amérique latine, crises et sorties de crises », telle était la première des deux thématiques des 6èmes Dialogues stratégiques, organisés le 4 avril par HEC Paris (Centre de géopolitique) et OCP Policy Center. Un tableau mitigé a été dressé, avec des signes de reprise et une croissance supérieure à 2 % qui n’empêchent pas des situations de crise comme au Brésil, au Nicaragua ou au Vénézuela.
Crise d’un modèle d’oligarchies anti-capitalistes
Au Vénézuela, la corruption paraît si endémique qu’il est « plus difficile de trouver des exemples de gestion honnête que des cas de corruption », selon Antonio Carrasco, ancien ministre bolivien de l’Education et de la culture. Une profonde crise sociale et politique transversale dans toute l’Amérique latine a été évoquée par Alfredo Valladao, professeur à Science-Po Paris et Senior Research Fellow à OCP Policy Center. Selon lui, cette crise est liée à « l’implosion d’un modèle existant depuis la seconde moitié du XXe siècle, qui a vu une oligarchie anti-capitaliste mener vers les Etats parmi les plus inégalitaires au monde ».
Dans un contexte de tensions accrues avec les Etats-Unis de Donald Trump, la Chine renforce son influence dans la région, en accompagnant les pays en crise, tels que le Vénézuela. La méthode est la même qu’en Afrique: des crédits contre des concessions pétrolières, gazières et aurifères. François Barouin, ancien ministre français des Finances (2011-12), a rappelé que l’Amérique latine se trouve prise dans la tourmente de la « redéfinition du monde entre les Etats-Unis et la Chine, les premiers ne pouvant pas laisser la seconde se développer dans tous les étages et toutes les régions du monde ». Cela étant, la Chine procède à une « conquête silencieuse » manifeste de Djibouti – avec des convoitises sur le terminal portuaire et la construction d’une base militaire – à la dette américaine, « que la Chine maîtrise à 60 %, comme à 65 % pour la France, par solidarité si l’on veut dire, ou par consitution stratégique de leviers, si l’on veut être lucide ».
Des atouts économiques fragilisés
Quelles sont les perspectives ? L’enjeu de la prochaine présidentielle des 7 et 28 octobre 2018 au Brésil, la plus grande économie de la région, s’avère majeur selon le professeur Henri-Louis Védie, professeur émérite de HEC Paris. Or, une « situation ubuesque » prévaut, avec un ancien président Lula condamné à 12 ans de prison, son successeur, la présidente Dilma Roussef, destituée en 2016, un président par intérim, Michel Temer, si impopulaire qu’il a renoncé à se présenter. Le scrutin, ouvert, se jouera entre Jair Borsolano, ex-militaire d’extrême-droite et Fernando Haddad, candidat de gauche qui s’est substitué à Lula, dont la candidature a été invalidée. Le Brésil a certes réussi à maîtriser son inflation (à 4%) mais le compte courant du commerce n’est excédentaire qu’en raison de la baisse des importations consécutive à la récession (1% de croissance en 2017 et 1,5 % attendus en 2018). Avec 8 % de déficit budgétaire et une dette qui s’élève à 100% du PIB, le climat des affaires reste peu attrayant pour les investisseurs.
Malgré tout, l’Amérique latine, avec 20 % des réserves mondiales prouvées, reste la seconde région productrice de pétrole, après le Moyen-Orient et avant l’Amérique du Nord. Les principaux pays producteurs (Brésil, Mexique, Vénézuela, Colombie, Argentine et Equateur) sont confrontés aux trois mêmes tendances soulignées par Francis Perrin, Senior Fellow à OCP Policy Center : baisse de la production, échec d’un certain nationalisme pétrolier (avec l’effondrement notamment de la société nationale au Vénézuela), et recours accru à des sociétés étrangères. Manifestement, l’avenir latino-américain va dépendre de la relation avec la Chine, mais aussi du contrat social, mis à mal par les scandales de corruption dans de nombreux pays.