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Opinion
Dag Hammarskjöld, ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU) avait, mieux que quiconque, résumé le rôle et les limites de l’organisation onusienne en proclamant que « L'ONU n'a pas été créée pour emmener l'humanité au paradis, mais pour la sauver de l'enfer ». Cette vision minimaliste et, au demeurant, réaliste, de la capacité de l’ONU à réguler les rapports internationaux, cadre parfaitement avec la maturation inachevée du processus d’évolution du droit international. En effet, l’arène internationale, malgré des avancées notables, continue toujours à faire la part belle à la loi de la force au détriment de la force de la loi.
Une telle configuration se trouve complexifiée et poussée à son extrême à chaque fois qu’une crise internationale implique un membre permanent de Conseil de sécurité. Le droit de veto, additionné au spectre de l’arme nucléaire, paralyse indubitablement le système de sécurité collective onusien. Une sorte de dialogue de mélien -relaté par l’historien grec Thucydide dans son récit sur la guerre de Péloponnèse- finit par s’imposer presque naturellement avec son lot d’injustices et de drames.
L’impuissance de l’ONU versus la toute-puissance des membres du Conseil de sécurité
Ainsi, pour préserver la paix et la sécurité internationales, le système de sécurité collective des Nations unies prévoit trois mécanismes : deux sont institués par la Charte, tandis que le troisième est le fruit de la pratique.
D’abord, il s’agit du mécanisme des chapitres VI et VII de la Charte qui habilite le Conseil de sécurité à user des moyens pacifiques de résolution des différends et à imposer des sanctions diplomatiques et économiques à l’encontre de l’Etat auteur de l’acte d’agression. Et si le Conseil de sécurité estime que ces mesures « prévues à l'Article 41 seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu'il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales.
Ensuite, il est question du mécanisme de la légitime défense prévu par l’article 51. Lequel article statue qu’ « aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un membre des Nations unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Bien entendu, tout exercice du droit de la légitime défense devra respecter la double condition de la présence antérieure d’une agression, d’une part, et de l’autre, de celle de la proportionnalité entre la charge de l’agression et celle de la riposte.
Enfin, on trouve la résolution 377 (V) appelée « l’Union pour le maintien de la paix » ou encore la résolution Acheson. Cette résolution, adoptée en novembre 1950 dans le contexte de la guerre de Corée, prévoit que « dans tout cas où parait exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression et où, du fait que l’unanimité n’a pas pu se réaliser par ses membres permanents, le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée examinera immédiatement la question afin de faire aux membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la force armée en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
La force de la diplomatie et le génie du compromis
Or, force est de constater que les trois mécanismes prévus par l’ONU présentent des déficiences avérées une fois mises à l’épreuve de la guerre en cours en Ukraine. L’adoption de sanctions par le Conseil de sécurité au titre des chapitres VI et VII se heurte fatalement au veto russe. Quant au mécanisme de la légitime défense, deux inconvénients majeurs amènent à l’écarter : d’une part, ce mécanisme offre moins de volume de légitimité que celui présenté par une action de Conseil de sécurité agissant sous les chapitres VI et VII, et, d’autre part, la légitime défense implique ipso facto une déclaration de guerre contre la Russie, ce qui reste improbable.
Reste l’ultime recours à la résolution 377 (V) de l’Assemblée générale. Là, encore, le dispositif onusien présente des faiblesses majeures. L’analyse de la pratique internationale démontre que si une telle résolution représente une valeur morale indéniable, et peut même constituer une base juridique suffisante pour légitimer une intervention armée, elle reste difficilement actionnable à l’endroit d’une grande puissance disposant du feu nucléaire. Il est à noter, d’ailleurs, que la crise de Corée ayant été à l’origine de la résolution Acheson n’a toujours pas été entièrement solutionnée et que l’Assemblée générale avait déjà adopté, la résolution 68/262 intitulée « Intégrité territoriale de l’Ukraine » en application de la résolution 377 (V) pour condamner l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 sans que cela ne produise des effets palpables.[1]
Il paraît, donc, clairement que le système onusien ne peut constituer une alternative fiable pour trouver une solution contraignante à un litige impliquant une grande puissance membre permanent du Conseil de sécurité. La seule issue possible est de croire en la force de la diplomatie et le génie du compromis. Un compromis qui permet non seulement à toutes les parties au conflit de sauver la face, mais, mieux encore, de crier victoire. Dans le cas précis de la guerre en Ukraine, il conviendrait de trouver, à travers les négociations, un juste milieu entre le respect de la souveraineté de l’Ukraine et la prise en compte des inquiétudes de sécurité de la Russie. Le pari est considérable : « préserver les générations…du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances. »[2].
[1] La raison en est simple : l’Assemblée générale reflète « l’image d’une majorité ambitieuse, qui peut certes dénoncer et condamner mais, qui, étant composée d’États moyens et petits, se trouve enchainée par les réalités de la puissance dès qu’il s’agit de prendre des mesures », Guilhaudis, J.-F., Considérations sur la pratique de la résolution ‘Union pour le maintien de la paix’, p. 386, cité par Silviana Cocan, L’auto-saisine de l’Assemblée générale des Nations unies en cas de blocage du Conseil de sécurité –Le précédent méconnu de la « résolution Acheson », January 30, 2019
[2] Le Préambule de la Charte de l’ONU.