Publications /
Opinion

Back
L'intelligence démocratique : de l'école à la société
Authors
June 21, 2024

La société peut être illustrée par l’école, sans préjugé quant aux déterminant et déterminé, de l’école ou de la société. L’école est à l’image de la société, elle la reflète, et elle peut elle-même la façonner. La notion de l’intelligence pose la question du rapport démocratique dans le cadre social.

 

L’autre image concerne la leçon donnée de l’extérieur et celle qui vient de l’intérieur : la maïeutique (Socrate, Freire), la dialectique (Aristote), le discours unilatéral (la science moderne). L’universalisme national peut être défini comme la tendance des puissances à considérer leurs valeurs et leurs cultures nationales comme universelles. Cette tendance est flagrante dans les projets d’exportation de la démocratie. Mais ces projets d’exportation n’en sont pas moins ambigus. Diverses expériences, à l’œuvre aujourd’hui, montrent l’indétermination qui enveloppe les perspectives des pays où l’on a cherché à imposer de manière trop volontariste et excessivement transformiste des régimes démocratiques (l’Irak depuis l’invasion américaine, nombre de pays arabes au lendemain du printemps arabe, mais aussi de nombreux pays africains depuis le début du siècle…). À diverses phases de l’histoire aussi, d’autres expériences révèlent que la lutte pour le modèle démocratique reste un défi majeur dans le monde entier (Afrique du Sud, Argentine, Indonésie,  Zimbabwe, etc…). Mais comme le souhaitait Amartya Sen, il convient de fournir plus d’efforts pour  « une compréhension adéquate des racines profondes de la pensée démocratique » dans les aires propres aux différentes civilisations. Ainsi, construire un projet démocratique nécessite des trajectoires nationales alimentées par l’histoire et la culture propres aux pays concernés.

Parmi les objections qui plaident en faveur de la démocratie, deux semblent centrales :

- quel sens attribuer au modèle démocratique dans les pays les plus pauvres ?  La démocratie ne pourrait-elle pas apparaître comme un obstacle empêchant le développement, en détournant l’État des priorités économiques et sociales ? Les réponses données à cette question sont loin d’être évidentes ;

 - comment enseigner la démocratie alors qu’elle est imprégnée de doutes de nature historique et culturelle, quand cet enseignement est marqué du caractère d’une tentative de prescrire les valeurs et les pratiques déterminées au reste du monde ? L’Occident, là où il se trouve, peut-il assurer être l’incarnation et le porteur unique des valeurs et pratiques en question ? De sérieux doutes entourent cet occidentalo-centrisme, et ses discours et actions au nom de la défense et de la promotion de la démocratie et des droits de l’homme, de l’ingérence démocratique, du rétablissement de l’ordre constitutionnel ici ou là dans le monde actuel (Guinée, Mali, Burkina Faso …).

La possibilité de voter sert souvent à définir et identifier la démocratie. La théorie politique (en l’occurrence celle de Samuel Huntington) la reliait à la troisième vague démocratique. Les processus de démocratisation à la fin du XXème siècle se fondaient sur des élections ouvertes, libres et justes, lesquelles devaient représenter l’essence même de la démocratie.  Ce point de vue est dominant dans une importante partie de la littérature, et dans l’esprit de nombreux acteurs individuels ou collectifs. Cependant, au-delà des élections libres et des scrutins, le vote ne suffit pas pour faire la démocratie. Selon Rawls, la démocratie serait l’exercice de la raison publique, où s’affirme la possibilité « pour tous les citoyens de participer aux discussions publiques », ainsi que celle « d’être en mesure d’influencer les choix relatifs aux affaires publiques ». Rawls ajoute à ces éléments la diversité des doctrines, l’existence d’un certain pluralisme.

Basée sur les libertés fondamentales, la démocratie commence avec l’expression des points de vue dissidents. Elle serait le débat public, la participation, la délibération, la réflexion collective, les échanges citoyens, la participation, l’intelligence collective, lesquels peuvent faire changer les attitudes arrêtées. Dans chaque pays, il existe une histoire du champ public et du débat public, qui l’anime. Elle renvoie à un partage de l’autorité politique ; elle se définit comme le droit à la participation politique, comme le droit de faire entendre les voix des citoyens. Elle englobe également la possibilité de parler et d’écouter, elle se fonde sur une culture de la tolérance à l’égard des points de vue différents, et elle se nourrit du pluralisme. Cela existerait aussi dans les différentes civilisations.

Dans son autobiographie, « Un long chemin vers la liberté », Nelson Mandela, se rappelant des rencontres locales dont il avait été témoin quand il était jeune, écrit : « Toute personne qui voulait prendre la parole pouvait le faire. Il s’agissait de la démocratie dans sa forme la plus pure. Il se peut qu’il y ait eu une hiérarchie dans l’importance des intervenants mais qu’il soit chef ou sujet, guerrier ou médecin, boutiquier ou fermier, propriétaire ou travailleur agricole, chacun pouvait se faire entendre…Ce qui fut le fondement de l’autonomie : tous étaient libres d’exprimer leurs opinions et tous étaient égaux en tant que citoyens ». Les études développées par les sciences sociales ayant pour objet aussi bien l’Afrique du Nord que l’Afrique subsaharienne montrent qu’il existe un héritage politique africain à base de participation et de reddition des comptes.

De nombreux éléments de gouvernements démocratiques existent à l’échelon local en Asie et en Afrique. Il ne s’agit pas ici de mythifier le particularisme local et la démocratie locale car ils peuvent engendrer l’étroitesse d’esprit et le communautarisme, et aussi un refus trop expéditif de l’universalisme, car la démocratie demeure un bien universel, un bien qui repose sur des standards internationaux de la démocratie.

 

 

RELATED CONTENT

  • September 15, 2022
    Dans cet épisode d’Africafé, Hamza Saoudi analyse les enjeux de la sécurité sociale en Afrique et comment pallier aux manquements des Etats Africains dans ce domaine. Cet épisode passe aussi en revue les politiques publiques mises en œuvre par les Etats Africains pour mettre en place un...
  • Authors
    September 15, 2022
    Le dialogue social est à la croisée des chemins. Le deuxième round du dialogue social va être lancé aujourd’hui. À l’ordre du jour, la négociation sur des dossiers en instance depuis de longues années (le droit de grève, la représentation des syndicats, le code du travail, les libertés syndicales,…). Mais la grande question qui figure dans l’agenda des parties prenantes est bien celle de l’institutionnalisation des mécanismes d’un dialogue pérenne et efficace, en plus de celle de so ...
  • September 7, 2022
    Le président des États-Unis, Joe Biden, malgré les états de service catastrophiques de son pays en Irak ou en Afghanistan, n’a pas tort d’affirmer que le monde va vers un affrontement entre l’autocratie et la liberté. Et, qu’en fin de compte, il va falloir choisir. Cela fait grincer des dents, surtout en Europe qui est divisée sur le sujet. ...
  • August 4, 2022
    Dans cet épisode d’Africafé, Gilles Yabi analyse les enjeux des inégalités en Afrique et les moyens de palier à ce manquement des économies Africaines. En compagnie de Hamza Saoudi, cet épisode passe aussi en revue les politiques publiques mises en œuvre par les Etats Africains pour com...
  • Authors
    Imane Lahrich
    Nada Drais
    July 26, 2022
    Comment les féministes, hommes et femmes, constituent-ils des mouvances numériques collectives de revendication avec pour objectif la transformation des situations dans une orientation égalitaire ? Comment ont-ils capitalisé sur les acquis tout en innovant dans leur répertoire d’action ? Comment ont-ils pu réactiver leur dynamique tout en gérant la durabilité et a diversité d’un féminisme contemporain moins conventionnel à l’ère du numérique ? Ce chapitre se consacre au répertoire d ...
  • From

    15
    6:00 pm July 2022
    L’apparition de de la COVID-19 a engendré une crise sanitaire mondiale, qui s’est rapidement transformé à d’autres crises bouleversant le vécu des humains de par la planète. En ce qui concerne les marchés mondiaux, notamment du travail, les incertitudes ont fortement impacté les comportements des agents. Aussi, les mises sous restrictions, totales ou partielles, des facteurs de production ont eu leur incidence sur l’activité globale -via différents canaux -, y compris celle des acteurs du marché du travail. À court terme, la pandémie est synonyme de fortes perturbations pour les citoyens et les marchés du travail. Celles-là concernent les revenues et les dépenses des particuliers comme elles portent sur l’activité des entreprises et donc les dynamiques de création d’emploi et ...
  • Authors
    Sabine Cessou
    July 12, 2022
    The Atlantic Dialogues Emerging Leaders Alumni (ADEL) Portraits are a series of journalistic insights that delve into the stories and backgrounds of impactful young leaders of the ADEL community, now 350 alumni strong. These portraits are more than a biography as they capture the motives, success stories, career shifts, and vision behind each emerging leader’s pursuit of positive impact. From Morocco to South Africa, Germany to Canada, Brazil and the United States, these young leade ...