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Policy Brief
En utilisant des données, disponibles, provenant des recensements et enquêtes réalisés par le Haut- commissariat au plan (HCP), le ministère de la Santé, et l’Observatoire national du développent humain (ONDH), cet article se propose d’étudier les changements dans le temps connus par la fécondité au Maroc. La tendance qui se dégage de l’évolution récente de ce phénomène est qu’il enregistre, depuis 2010, une sorte de stagnation, voire une légère reprise. Une tendance qui semble être un peu plus prononcée dans les villes, puisque la fécondité des citadines, qui avait atteint 1,8 enfant par femme en 2010, a enregistré 2,2 enfants par femme en 2019. En revanche, en milieu rural, la fécondité a continué à baisser jusqu’à 2014 pour atteindre 2,5 enfants par femme. Elle marque, ensuite, une légère reprise pour atteindre 2,7 enfants par femme en 2019.
Cette reprise a été accompagnée d’une baisse de l’âge au premier mariage chez les femmes. Une baisse observée aussi bien chez les femmes instruites que chez les moins instruites, chez celles qui habitent en milieu urbain que celles qui habitent en milieu rural. Avec un taux de prévalence contraceptive qui avoisine les 70 %. Selon les dernières données disponibles, cette nouvelle tendance de l’un des facteurs déterminants de la fécondité, qui est l’âge au premier mariage, n’a pas manqué d’influencer le comportement procréateur des couples en faveur d’une légère augmentation de leur fécondité. Ce qui est surprenant, c’est que cette reprise de la fécondité se fait parallèlement à une expansion de la scolarisation chez les filles. Une expansion qui se heurte, en revanche, aux freins liés à l’accès des femmes à l’exercice d’une activité économique en dehors de la sphère familiale. Cette situation pourrait être à l’origine de la baisse de l’âge au premier mariage et, par conséquent, de la reprise observée en matière de fécondité.
S’il est très tôt pour se prononcer clairement sur le caractère permanent ou temporaire de cette évolution, il est, néanmoins, certain que les normes sociales et culturelles de l’institution familiale marocaine d’aujourd’hui, de même que les conditions économiques et sociales des couples sont loin d’être favorables à une fécondité relativement élevée. L’exploitation de la question sur le nombre moyen idéal d’enfants désirés par des femmes non-célibataires et souhaités pour leurs filles, lors de l’enquête réalisée sur la population et la santé familiale en 2018, donnerait un nombre moyen d’enfants par femme qui fluctuerait autour 2,5.
Cet inversement de tendance de la fécondité n’est pas propre au Maroc. Il a été observé également dans d’autres pays arabes tels que l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie. La reprise de ce phénomène demeure, néanmoins, relativement modérée au Maroc, comparée à celle observée particulièrement en Algérie et en Égypte.
INTRODUCTION
L’analyse dans le temps de l’indice synthétique de fécondité, indicateur de mesure de la fécondité depuis 1960, permet de distinguer deux périodes d’évolution du comportement procréateur des femmes marocaines. Il s’agit de la période allant de 1960 à 2010, marquée par un schéma dit « classique » de baisse de fécondité, fruit des transformations économiques, sociales et culturelles qu’a connues le pays tout au long de cette période. De celle, ensuite, allant de 2010 à nos jours, pendant laquelle divers indices tendent à indiquer que la fécondité des couples marocains marque une légère reprise, accompagnée d’une baisse de l’âge au premier mariage chez les femmes, et ce, malgré les progrès économiques, sociaux et culturels que connait le pays. Cet inversement de tendance de la fécondité a été observé également dans d’autres pays arabes tels que l’Algérie, l’Égypte et la Tunisie.
Cet article se propose d’apporter un éclairage sur cette reprise de la variable démographique qui constitue l’une des composantes principales de la croissance démographique. Une variable qui demeure, d’un côté, impactée par les politiques publiques en matière de population et, de l’autre, constitue un des éléments clés pour les projections des structures par âge de la population. Des structures démographiques qui sont au cœur des différentes politiques publiques dans des domaines multiples : santé, logement, emploi, éducation, protection sociale, croissance, urbanisation, migration, environnement, etc.
Les données disponibles utilisées dans cet article proviennent essentiellement de deux sources, des recensements et des enquêtes. Pour les recensements, il s’agit de ceux réalisés en 1982, 1994, 2004 et 2014. Pour les enquêtes, il y a lieu de citer l’Enquête nationale démographique, à passages répétés, réalisée par le Haut-commissariat au plan entre 2009 et 2010, l’enquête panel de ménages réalisée par l’Observatoire national du développement humain en 2019, et de nombreuses enquêtes réalisées par le ministère de la Santé. Pour ces dernières, il s’agit de l’enquête à objectifs multiples de 1961-63, de l’Enquête nationale sur la fécondité et la planification familiale de 1979, de l’Enquête nationale de prévalence contraceptive de 1983-1984, de l’Enquête nationale sur la population et la santé de 1987, des enquêtes de panel de la population et la santé (1992 et 1995), de l’Enquête nationale sur la santé de la mère et de l’enfant de 1997 et des enquêtes sur la population et la santé familiale (2003-2004, 2011, 2018).
De 1960 à 2010 : un schéma classique de baisse de fécondité
Il y a un peu plus d’un demi-siècle, avoir un nombre élevé d’enfants était bien ancré dans les normes sociales et culturelles de l’institution familiale marocaine. Les femmes des générations de cette époque étaient majoritairement analphabètes. Leur taux d’analphabétisme était parmi les plus élevés au monde. 96 % des femmes ne savaient ni lire ni écrire (88 % en milieu urbain contre 99 % en milieu rural). Très peu, parmi elles, exerçaient une activité économique en dehors du leur domicile. Dans ce contexte, le rôle de la femme se limitait principalement à l’activité reproductive et à l’éducation des enfants (Ajbilou, 1995, CERED 2006a). Le mariage des adolescentes était très répandu. Une fois le premier mariage consommé, le comportement des jeunes couples n’était pas favorable à une limitation de la descendance et à un espacement des naissances. Certes, une faible proportion des femmes utilisait des moyens contraceptifs modernes (pas plus de 8 %). En conséquence, l’indice synthétique de fécondité était de l’ordre de 7 enfants par femme. Un niveau, qualifié de très élevé, indiquant un comportement procréateur favorable à une très forte fécondité.
Il fallait attendre les années 1970-1980 pour enregistrer les premiers signes de baisse de la fécondité marocaine (Y. Courbage 1996, 2017). Cette baisse traduit le déclenchement de la deuxième phase de la transition démographique,4 caractérisée par une baisse continue de la mortalité, suivie par le déclenchement de la réduction de la fécondité. Laquelle réduction a été la conséquence des changements économiques, sociaux et culturels qu’a connus le pays et qui ont incité les femmes marocaines à changer leur comportement procréateur (Courbage, 1996). Un changement qui va se traduire, au fil des années, par une baisse de leur fécondité, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural.
Sources : Enquêtes (1962, 1975, 1987, 1995, 2002, 2010, 2018, 2019) et recensements (1982, 1994, 2004, 2014)
La réduction enregistrée va s’accélérer au point que l’Enquête démographique, à passages répétés, réalisée entre 2009 et 2010, a révélé que les Marocaines mettaient au monde pas plus de 2,2 enfants par femme. Un niveau qui avoisine celui du taux de remplacement des générations qui est de 2,1 enfants par femme (figure 1). C’est dans les villes où la baisse est très prononcée. Avec 1,8 enfant par femme, lors de cette enquête, les citadines optent pour un niveau de fécondité en dessous du niveau du remplacement des générations.
Par ailleurs, l’écart entre le milieu rural et le milieu urbain se réduit au fil des années. Le nombre moyen d’enfants par femme en milieu rural était de l’ordre de 2,7. Pour rattraper le niveau atteint par le milieu urbain, la fécondité en milieu rural a continué à baisser pour atteindre 2,5 enfants par femme en 2014. Ce changement du comportement procréateur des femmes marocaines demeure, bel est bien, le fruit d’un engagement des pouvoirs publics en faveur d’une maîtrise de la variable démographique, considérée comme une entrave au développement économique et social du pays. Les plans de développement économique et social qui se sont succédé pendant la période des années 1960 à 1990 n’ont pas manqué, certes, de souligner les conséquences d’une croissance démographique élevée sur les différentes variables socio-économiques. Des mesures ont été mises en place pour permettre aux femmes de réguler leur descendance. C’est ainsi que le programme de planification familiale mis en place pendant les années 1960, renforcé par des mesures prises dans le cadre de la santé maternelle et infantile vers la fin des années 1980, de même que l’engagement du Maroc pour le programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement (CIPD), tenue au Caire en 1994, ont fait de la santé reproductive une des questions prioritaires des politiques publiques en matière de population (CERED, 2004). Un engagement qui a fait du Maroc un des précurseurs en matière de diffusion des programmes de limitation des naissances (B. Gastineau et A. Adjamagbo, 2014).
Ces programmes, accompagnés de l’expansion de plus en plus de la scolarisation, de l’insertion progressive des femmes dans le circuit économique, de l’amélioration du niveau de vie et le développement de la classe moyenne, de même que l’urbanisation en tant que processus de diffusion d’un système de valeurs et d’attitudes constituant, en quelque sorte, la vie urbaine, sont des dimensions qui ont contribué, à des degrés divers, au changement du comportement procréateur des femmes marocaines durant toute la période 1960-2010 (CERED, 2006a, Y. Courbage, 2017).
Avec ces facteurs, l’institution familiale, espace de socialisation et de transmission des normes, de manière de penser et d’agir, se trouve de plus en plus affaiblie. Le rapport de pouvoir entre générations se trouve secoué, et on assiste à de nouvelles relations sociales. L’entrée dans la vie conjugale devient de plus en plus une affaire qui relève des décisions des couples et non pas des familles (Ajbilou,1998). De ce fait, les jeunes, filles et garçons, particulièrement celles et ceux qui prolongent leurs études jusqu’au niveau supérieur, remettent en question l’entrée précoce au mariage en prolongeant leur célibat jusqu’à un âge avancé.
Ainsi, tout au long de la période 1960-2010, le calendrier de la primo-nuptialité n’a cessé d’augmenter. Comme l’illustre le graphique 2, l’âge au premier mariage est passé de 17,5 ans, en 1960, à près de 26,6 ans, en 2010, chez les filles, et de 24,4 ans, en 1960, à 31,4 ans, en 2010, chez les garçons. Cette augmentation du calendrier du premier mariage, synonyme de la hausse du célibat chez les jeunes filles âgées de 15 à 29 ans, a largement contribué à la réduction de la fécondité durant la période 1960-2010 (Ajbilou, 1991, 1995). Selon Ajbilou et Duchêne (1995), retarder la fondation d’une famille par les jeunes couples explique près des deux tiers de la baisse de la fécondité durant les années 1970 et 1980. Le relais est assuré par le recours à la contraception qui n’a cessé de s’intensifier, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. Le taux de prévalence contraceptive frôle les 70 % en 2018 dans les deux milieux (figure 3).
Tous ces facteurs ont largement contribué à la création d’un contexte favorable à la réduction de la fécondité durant la période 1960-2010. Un contexte qui, à priori, laisse présager une poursuite de la baisse de la fécondité en s’inscrivant parfaitement dans le cadre du schéma classique marquant l’entrée du Maroc dans les différentes phases de la transition démographique. Ce qui n’est pas le cas à partir de 2010 où des tendances inversées ont été enregistrées, tant en matière de fécondité que du calendrier du premier mariage.
De 2010 à nos jours : légère reprise de la fécondité, accompagnée d’une baisse de l’âge au premier mariage
Depuis 2010, la fécondité des Marocaines semble marquer une tendance pour une légère reprise. L’indice synthétique de fécondité indique une légère hausse du nombre d’enfants chez les femmes marocaines en passant de 2,2 par femme, lors de l’enquête à passages répétés, réalisée en 2009, à 2,4 enfants par femme lors de l’enquête sur la santé et la famille réalisée par le ministère de la Santé en 2018 et, puis, à 2,3, en 2019, selon l’enquête panel des ménages réalisée par l’Observatoire national du développent humain. Une tendance qui semble être plus prononcée dans les villes puisque la fécondité des citadines, qui avait atteint le seuil de remplacement lors du recensement de 2004, se situe au-dessous de ce niveau avec 1,8 enfant par femme en 2010. Elle marque, ensuite, une hausse lors du recensement de 2014. Cette hausse a été confirmée par l’enquête sur la santé et la famille réalisée par le ministère de la Santé en 2018, et par l’enquête panel des ménages de 2019 (voir graphiques 1 et 4). Selon cette dernière enquête, l’indice synthétique de fécondité a atteint 2,3 enfants par femme (2,7 en milieu rural et 2,2 en milieu urbain).
En considérant la structure de la fécondité par groupe d’âge, le graphique 5 confirme les tendances de la fécondité décrite ci-dessus. Une baisse rapide et continue des taux de fécondité à tous les âges pendant la période avant 2010 et une stagnation, et parfois une hausse, après 2010. Les taux de fécondité par âge ont commencé à enregistrer une légère augmentation en 2014 pour se confirmer davantage lors de l’enquête réalisée en 2018, notamment au-delà de 35 ans.
Parallèlement à cette nouvelle tendance de la fécondité des couples marocains, il y a lieu de remarquer une baisse, inattendue, de l’âge au premier mariage, particulièrement chez les filles. En examinant les graphiques 2 et 6, on constate bien une diminution de l’âge au premier mariage des femmes depuis 2004. Cette baisse est observée aussi bien chez les femmes instruites que chez les moins instruites, chez celles habitant en milieu rural que celles qui habitent en milieu urbain. Une baisse qui pouvait atteindre 2,9 ans pour les femmes ayant un niveau fondamental et 1,4 an pour les filles du milieu rural entre 2011 et 2018.
Avec une proportion d’utilisation des moyens contraceptifs aux alentours de 70 %, sur le plan national, cette nouvelle tendance de l’un des facteurs déterminants de la fécondité, qui est l’âge au premier mariage, n’a pas manqué d’influencer le comportement procréateur des couples en faveur d’une augmentation de leur fécondité. Ce qui mène vers une nouvelle tendance de la fécondité et à sortir du schéma classique de baisse de ce phénomène vécu durant toute la période 1960-2010. Une tendance qui devrait interpeler les spécialistes en matière de population, vu l’impact du phénomène fécondité sur les structures par âge de la population et la place occupée par celles-ci dans les politiques publiques dans les domaines économique et social.
Il faut souligner que les projections démographiques 2014-2050, élaborées sur la base des données du recensement de 2014, se fondent sur des hypothèses qui prévoient une tendance toujours baissière de la fécondité. Le niveau de remplacement des générations ne devait être atteint que vers l’année 2020, selon le HCP (2017). Alors que les premiers signes de ce taux de remplacement ont déjà été détectés lors du recensement général de la population et de l’habitat réalisé en 2004.
Une reprise relativement modérée, comparée à celle observée dans d’autres pays arabes
Le comportement de reprise de la fécondité durant la dernière décennie n’est pas propre aux femmes marocaines. Depuis quelques années, d’autres pays arabes enregistrent une remontée significative de leur indice synthétique de fécondité (Y. Courbage, 2015). Il s’agit de l’Égypte, de l’Algérie et de la Tunisie.
Pour le cas de l’Égypte, Courbage (2015) souligne même la contre-transition démographique où la fécondité a connu une baisse régulière jusqu’à 2000 pour atteindre 3 enfants par femme, et puis une hausse assez importante pour avoisiner 3,5 enfants par femme en 2014. La hausse a été observée chez toutes les catégories de la population (A. Goujon et Z. Al Zalak, 2018). Chez les femmes qui vivent en milieu urbain, tout comme celles qui vivent en milieu rural, chez les instruites comme chez les moins instruites et, enfin, chez les femmes pauvres tout comme les riches. Les auteurs ont remarqué également que les femmes deviennent mères plus jeunes. « Le taux de fécondité augmente entre 2008 et 2014 à tout âge, mais surtout chez les 20-24 ans, groupe dont la fécondité est la plus élevée en 2014, et chez les 25-29 ans. C’est surprenant car, avec la transition démographique, le pic de fécondité dans un pays a tendance à se déplacer vers des âges plus tardifs. Avec le schéma actuel, une femme égyptienne aurait déjà 2,7 enfants à 32 ans, soit plus des trois quarts des enfants qu’elle aurait dans toute sa vie », considèrent A. Goujon et Z. Al Zalak (2018).
En Algérie, conséquence d’une absence de toute forme de contrôle, la fécondité culminait au début des années 1970 à 8 enfants par femme. L’indice synthétique de fécondité a connu une forte baisse pour atteindre 2,5 enfants par femme en 2002. Un niveau qui ne va pas durer longtemps pour enregistrer une reprise non négligeable en atteignant 3 enfants par femme en 2019. Ce niveau de fécondité place l’Algérie, tout comme l’Égypte, nettement au-dessus du niveau atteint par le Maroc en 2018.
La Tunisie, quant à elle, a vu sa fécondité décliner rapidement en passant de 7 enfants par femme, en 1966, à 2,05, en 2001. Une forte réduction qui reflète les changements ayant touché le comportement procréateur dans ce pays. L’indice synthétique de fécondité a enregistré, ensuite, une légère augmentation pour se stabiliser à 2,2 enfants par femme en 2018.
Cela dit, il y a lieu de constater que le schéma de la transition de la fécondité en Tunisie demeure proche de celui du Maroc. L’Égypte et l’Algérie, en revanche, ont un schéma assez original de transition de la fécondité : une hausse du nombre moyen d’enfants par femme avant même d’atteindre ou de tomber sous le seuil de remplacement (Zahia Ouadah-Bedidi, Jacques Vallin, Ibtihel Bouchoucha, 2012).
Une reprise de la fécondité dans un contexte marqué par des difficultés d’accès au marché du travail chez les femmes
Parallèlement à ces nouvelles tendances en matière de fécondité et du calendrier du premier mariage, l’accès des filles à l’enseignement ne cesse de croitre d’année en année. Qualifiée de révolution silencieuse par Marie-France Lange, (2018), cette expansion de l’éducation chez les filles concerne tous les niveaux : primaire, secondaire et supérieur. Pour ne citer que le niveau supérieur, les données produites par le ministère de l’Enseignement supérieur montrent bien qu’en 2022-2023, le taux de participation aux études universitaires chez les filles dépasse même celui des garçons, avec un taux de féminisation de 53,6 %. Ce taux est de l’ordre de 54,1 % pour le cycle normal de l’enseignement supérieur et de 51,7 % pour le cycle de Master. Par filière, le taux de féminisation varie de 51,2 % pour les Sciences juridiques et économiques à 69,3 % pour la filière Sciences de l’éducation. Il est de 51,4 % pour les Sciences de l’ingénieur, de 55,1 % pour la filière Lettres et sciences humaines, de 56,1 % pour la Médecine dentaire et, enfin, de 58,1 % pour les Sciences et Techniques.
Pour les diplômés, les filles réussissent mieux que les garçons, puisque le taux de féminisation des diplômés lors de l’année académique 2021/2022 est de 57,0 %, toutes filières confondues. Ce taux n’était que de 49 % lors de l’année académique 2007-2008. Par filière, certains taux ont connu une évolution significative entre 2007/2008 et 2021/2022. C’est le cas de la filière Sciences et Techniques avec 60,9 % en 2021/2022 contre 45,2 % en 2007/2008. Quant à la filière Commerce et Gestion, le taux de féminisation est passé de 64,5 % à 67,5 %. Pour la filière Sciences juridiques et économiques, les filles se confirment davantage avec 56,3 % en 2021/2022 contre 51 % en 2007/2008. Ce qui montre que les filles ont fait le choix de prolonger leurs études jusqu’au niveau supérieur en vue d’avoir un diplôme pour décrocher un emploi.
Personne ne peut nier l’impact positif du capital humain des jeunes filles sur le renforcement de leur statut dans la société et, par conséquent, sur leurs comportements matrimonial et procréateur. La scolarisation, en dépit du fait qu’elle constitue un levier pour l’acquisition des connaissances et de son rôle dans la transformation des sociétés, demeure insuffisante pour le développement de l’autonomie et de l’indépendance des femmes marocaines. C’est surtout leur participation à la vie active, combinée avec les connaissances acquises par le biais de l’expansion de la scolarisation, qui impactent leur comportement procréateur en optant pour une fécondité plus réduite. Cet impact se fait par le biais de l’âge au premier mariage, l’âge à la première naissance et par le recours à la contraception. Une jeune fille qui exerce une activité économique, en dehors de la sphère familiale, a davantage d’occasions de contact avec le monde extérieur. Sa sortie de la sphère familiale lui procure plus d’indépendance et d’autonomie en adoptant ainsi des attitudes rationnelles par rapport à sa descendance et à sa planification (Ajbilou,1995).
Cependant, si les jeunes marocaines s’imposent, de plus en plus, par leur choix de continuer leurs études le plus longtemps possible en vue de décrocher un diplôme leur garantissant un emploi sur le marché du travail et, par conséquent, un salaire leur permettant d’être indépendantes financièrement, les programmes publics en matière d’emploi leur offrent moins d’opportunités comparativement aux garçons. Le retour d’investissement dans la scolarisation pour les jeunes filles, en termes d’emploi, se heurte aux entraves qu’elles rencontrent pour intégrer un travail en dehors de la sphère familiale. Les données des enquêtes sur l’emploi réalisées par le Haut-commissariat au plan, depuis 2010, illustrent bien un des aspects de ces difficultés (HCP, 2023). Les femmes participent nettement moins que les hommes à l’activité économique et elles sont plus exposées au chômage et pour une longue période (Ibourk, A et El Aynaoui, K., Ghazi, T., 2020). Leur taux de chômage ne cesse d’augmenter, notamment pour les diplômées durant la dernière décennie. En milieu urbain, il est passé de 25,1 %, en 2010, à 33,7 %, en 2022. Un chômage qui touche encore plus les jeunes filles âgées de 15-24 ans, aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. Le taux de chômage des filles de cette tranche d’âge est passé de 34,8 %, en 2010, à 58,5 %, en milieu urbain, en 2022, et de 5 % à 18 %, en milieu rural. En 2022, les filles rurales qui ont obtenu un diplôme supérieur sont plus exposées au chômage que leurs homologues citadines. 52,4 % pour les premières contre 33,8 % pour les secondes. La figure 7 donne l’évolution du taux de chômage des femmes âgées de 15-24 ans et de 25-34 ans, entre 2004 et 2022, en relation avec celle de l’indice synthétique de fécondité. La tendance de l’évolution de la fécondité en relation avec celle du taux de chômage semble se confirmer, dans la mesure où les difficultés en termes d’accès au marché du travail chez les jeunes filles, instruites ou non instruites, notamment dans les tranches d’âge 15-24 ans et 25-34 ans, pourraient être à l’origine de la baisse de l’âge au premier mariage et, par conséquent, d’une reprise de la fécondité. Une jeune fille diplômée se trouvant dans une situation de chômage pourrait, ainsi, opter pour un mariage et éventuellement avoir des enfants à un âge précoce.
C’est le cas également des jeunes qui ne sont ni à l’école, ni en emploi, ni en formation, appelés NEET (Not in Education, Employment or Training), qui représentent 26 % en 2021. Un phénomène qui touche plus les filles que les garçons (38,8 % pour les premières contre 13,6 % pour les seconds). Par manque de contact avec le milieu du travail, être dans ce statut de NEET signifie bien une baisse de l’employabilité et, de ce fait, être exposé à un chômage de longue durée, notamment chez les filles (Ibourk, A. et El Aynaoui, 2022) et, par conséquent, penser au mariage et avoir des enfants avant même de décrocher un emploi.
Cette explication a été avancée aussi pour les cas de l’Égypte, de l’Algérie et de la Tunisie. La reprise de la fécondité est à lier aux conditions économiques et les difficultés d’accès des femmes au marché du travail, précisent Z. Ouadah-Bedidi et al. (2012). Les jeunes filles instruites n’hésitent pas à avancer leurs maternités en attendant de trouver un emploi, affirment A. Goujon et Z. Al Zalak (2018).
Cette reprise de la fécondité sera-t-elle amenée à se poursuivre ?
En traitant cette nouvelle tendance de la fécondité, il est légitime de s’interroger sur l’ampleur de cette reprise, ou même si on peut s’attendre à une fécondité relativement élevée dans les années à venir. Les résultats du recensement de la population et de l’habitat prévu en 2024, combinés avec une recherche qualitative sur le comportement procréateur des femmes marocaines, pourraient ainsi aider à bien comprendre cette nouvelle tendance de la fécondité au Maroc et tirer une conclusion claire sur ses motivations et son ampleur.
En revanche, il est certain que les normes sociales et culturelles de l’institution familiale marocaine d’aujourd’hui, de même que les conditions économiques et sociales des couples, sont loin d’être favorables à une forte fécondité. Le choix pour un nombre déterminé d’enfants relève bien de la décision du couple et non pas de la famille élargie, autrefois la règle dans le modèle traditionnel. En conséquence, la qualité des enfants (bien scolarisés et jusqu’à un niveau très avancé, bien soignés, etc.) prime sur la quantité. Une fécondité relativement élevée relèverait du passé. C’est ce qui ressort de l’exploitation de la question sur le nombre moyen d’enfants désirés par les femmes non-célibataires et souhaités pour leurs filles lors de l’enquête réalisée en 2018. Comme le montre la figure 8, les femmes non-célibataires enquêtées en 2018 ont souhaité moins d’enfants pour leurs filles par rapport à leur procréation désirée. Ainsi, le nombre moyen d’enfants par femme fluctuerait autour de 2,5.
CONCLUSION
Il se dégage clairement de l’examen des données provenant des recensements et enquêtes réalisés par le Haut-commissariat au plan et le ministère de la Santé, sur le comportement procréateur des femmes au Maroc, et à l’image de ce qui se passe dans d’autres pays arabes, que le nombre moyen d’enfants par femme a connu une légère reprise depuis 2010. Une reprise observée, tant en milieu urbain qu’en milieu rural, et accompagnée d’une baisse de l’âge au premier mariage chez les femmes. Ce qui est surprenant, c’est que cette reprise se fait parallèlement à une expansion de la scolarisation chez les filles. Une expansion qui se heurte, en revanche, aux freins liés à l’accès des femmes à l’exercice d’une activité économique en dehors de la sphère familiale. Cette situation pourrait être à l’origine de la baisse de l’âge au premier mariage et, par conséquent, de la reprise observée en matière de fécondité. En étant instruites et diplômées, mais sans travail, les jeunes filles pourraient être tentées de privilégier le mariage et éventuellement avoir des enfants à un âge précoce. S’il est très tôt pour se prononcer clairement sur le caractère permanent ou temporaire de cette évolution, celle-ci ne signifierait absolument pas un retour à une forte fécondité, mais plutôt avoir un nombre moyen d’enfants qui fluctuerait autour de 2,5.
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