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Le présent rapport a pour objet d’analyser les implications sur la croissance et le développement du Maroc de son insertion dans l’économie mondiale. Cette analyse est menée en comparant la dynamique économique observée après 1998 à celle qui l’a été avant. En effet, la période 1998-2018 est celle au cours de laquelle se sont manifestés les effets du choix acté et assumé politiquement de l’ouverture (ou du libre-échange, si on préfère). Pour avant, nous nous en tenons à la période 1982-1998 qui a suivi ce qu’il est convenu d’appeler l’ajustement structurel, choix qui consacre l’abandon d’une stratégie de développement prioritairement autocentré et planifié depuis le centre.
La seconde période, celle sur laquelle se focalise l’analyse en considérant avant tout l’activité marchande non agricole, a été marquée par la « crise financière internationale de 2008 » et ses prolongements au sein de l’Union européenne (UE), principal partenaire commercial du Maroc. Cette crise ponctuelle n’a pas cassé la croissance, relativement forte, enregistrée au cours des dix premières années (+5,1 % par an sur 1998-2008), mais elle en a fortement ralenti le rythme (+3,2 % par an sur 2008-13). On pouvait s’attendre à une accélération de ce rythme, avec la nette reprise de la demande mondiale de biens adressée au Maroc ainsi que du tourisme. Or, il n’en a rien été, puisque le rythme de la croissance fléchit de nouveau (+2,8 % l’an sur 2013-2018). Cela parait paradoxal, dans la mesure où la politique industrielle visant un fort développement des exportations dans de nouveaux métiers a porté ses fruits, en donnant lieu à une importante transformation de la structure proprement industrielle au profit des industries mécaniques et électriques. Mais, cela l’est moins si on ajoute le constat que la part de l’industrie manufacturière dans l’ensemble des activités marchandes (agriculture comprise) n’a pas progressé en termes de valeur ajoutée. L’objet de ce rapport consiste à lever ce paradoxe.
L’exigence qui a présidé à cette analyse est de faire un net partage entre la description de la dynamique économique et l’interprétation qu’il est possible d’en donner. En effet, cette interprétation, qui consiste à donner du sens, est une explication. Ce n’est jamais l’observation qui nous la donne, aussi précise soit-elle. On ne peut induire de l’observation que des conjectures, sans aucune garantie de leur bien-fondé. Toute explication repose, plus ou
moins explicitement, sur la mobilisation d’une grille d’analyse théorique (ou conceptuelle, si on préfère). Il n’en reste pas moins que l’analyse de « ce qui a été » n’a d’intérêt, hors du monde de la recherche, que si elle sert à éclairer « ce qui devrait être » dans l’avenir. Par conséquent, ce rapport comprend trois parties. La première s’en tient à la description de l’observé – le principal outil mobilisé pour ce faire est la comptabilité nationale. La seconde porte sur l’explication « théorique ». La troisième traite de l’avenir en termes de projets (et non pas de prévision) et débouche sur quelques propositions concrètes.
Les trois principaux constats établis en conclusion de la première partie sont les suivants :
• Le rythme de croissance tendanciel du PIB marchand ne s’est pas nettement accéléré dans le cadre du choix de l’ouverture;
• Après 2013, une fois enregistrés les effets négatifs sur l’économie marocaine de la « crise de 2008 » (et ses suites en UE), l’activité marchande non agricole n’a pas connu une nette reprise se poursuivant à moyen terme;
• Il n’y a pas eu globalement une dynamique d’industrialisation.
La question cruciale est, dès lors, la suivante : quelle « boîte à outils conceptuels » faut-il mobiliser pour réaliser cette explication-compréhensioninterprétation ? Le savoir économique dominant est constitutif de la grille d’analyse la plus couramment convoquée. Cette dernière est celle qui a été à la base de la prévision selon laquelle l’insertion du Maroc dans le processus de mondialisation économique en cours depuis les années 80 -une insertion politiquement assumée en interne et actée par des accords de libre-échange-, devait lui permettre d’entrer dans le club des pays émergents. En ne distinguant que deux horizons d’analyse, le court et le long termes, les modèles couramment construits au Maroc à partir du savoir économique normal ne sont pas capables d’expliquer cela. D’ailleurs, à notre connaissance, il n’existe pas de publication qui aurait eu cet objet.
L'originalité de l’analyse réalisée dans la seconde partie de ce rapport tient à la mobilisation d’une « autre » grille conceptuelle, qui est présentée, à grands traits, dans cette seconde partie. Comme il se doit, elle est porteuse de conceptions originales de l’industrialisation, de la croissance économique et du développement. Elle prend en compte la diversité des façons de justifier publiquement l’institution de telle ou telle norme-règle sociétale (convention commune ou règle de Droit) et, ce faisant, la diversité des points de vue axiologiques (ou politiques, si on préfère) en présence dans tel vivre-ensemble des humains sans considérer que l’un d’entre eux s’impose. Elle donne, donc, de ces catégories, surtout du développement, des compréhensions « positives ».
Dès lors, ces dernières laissent place à l’interrogation concernant ce qu’est une « bonne » industrialisation, une « bonne » croissance économique et un « bon » développement.
Cette grille est mobilisée pour expliquer les trois constats établis à la fin de la première partie. Elle est, d’abord, porteuse d’une modélisation qui permet d’établir pour une période de moyen terme le tableau des contributions autonomes à la croissance, tableau qui diffère de celui des contributions constatées ex post. Elle permet, ensuite, de remonter aux causes de fond de ce qui est révélé par ces tableaux pour les périodes identifiées (1998-2008, 20082013 et 2013-2018). Il s’agit notamment de la faible capacité de la production marocaine à répondre aux augmentations de la demande intérieure en laissant ainsi une place croissante aux importations.
Les deux principales explications qui en sont données sont alors les suivantes :
• Le processus d’industrialisation s’est résumé à une sous-industrialisation dépendante. Il s’agit d’une sous-industrialisation parce qu’elle ne s’est faite que sur certains segments des chaînes de valeur ; en l’occurrence, ceux qui ne mobilisent qu’une main-d’œuvre peu qualifiée, et qui se caractérisent à la fois par un faible taux de transformation et par l’obtention d’une valeur ajoutée par emploi faible. Elle a été dépendante parce que, souvent, les processus et les produits ne sont pas conçus au Maroc, une proportion élevée des entreprises industrielles marocaines étant des « sous-traitants », surtout pour les entreprises tournées vers l’exportation. Très peu d’entreprises industrielles réalisent en interne une activité de R&D;
• Une part encore assez importante des entreprises marocaines, au sens où leur gestion est commandée par des Marocains, relève de ce qui est appelé, dans la grille d’analyse mobilisée, le « monde de production domestique », c’est-à-dire une entité dans laquelle les pratiques en matière commerciale, salariale et financière conservent encore certaines des caractéristiques propres à la production artisanale de la « société traditionnelle », à commencer par la place qu’y tient la « réciprocité ». L’objectif primordial d’une entreprise de ce monde n’est pas « la croissance », en particulier elle ne fait pas appel au crédit d’un intermédiaire financier pour financer sa FBCF (ce qui serait nécessaire si elle augmentait nettement).
La projection dans l’avenir réalisée dans la troisième partie ne relève pas d’un travail de prévision, dès lors que la grille d’analyse retenue postule que l’avenir est radicalement imprédictible. Cette projection a été commandée par deux considérations :
1/ Ce qui a été mis en évidence pour le passé s’applique tout autant à l’avenir : celui du Maroc est indissociable de celui du monde dans son ensemble. L’horizon de projection est alors le long terme.
2/ Les propositions concrètes, qui peuvent être faites et mises en discussion, sont relatives aux moyens que la puissance publique (l’État, le gouvernement) peut mettre en œuvre pour tenter d’atteindre des objectifs poursuivis à moyen terme, c’est-à-dire un horizon dans lequel s’exercent sur la croissance et le développement du Maroc les contraintes qui tiennent à la poursuite de la mondialisation réellement existante selon les lignes de forces qui prévalent depuis les années 1980.
Les propositions faites portent exclusivement sur le domaine dont traite ce rapport, celui des implications sur la croissance économique et le développement du Maroc de son insertion dans l’économie mondiale.