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Opinion
Avec du suspense jusqu’à la dernière minute, comme l’Union européenne (UE) aime le faire, le 10 décembre 2020 le Conseil européen a finalement donné son accord pour le budget de l’Union 2021-2027 (1,8 milliards d’euros[1]) et du Fonds de récupération et de relance pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la Covid-19 dans les pays de l’UE. Le Fonds répartira entre les États membres 750 milliards d’euros entre 2021 et 2023 (sous le nom de « EU Next Generation »), 360 milliards sous forme de subventions et le reliquat sous forme de crédits remboursables. Ainsi, pour un pays comme l’Espagne, qui recevra 140 milliards d’euros, le montant total sera de 1.000 euros par habitant et par an pour les trois prochaines années. Les Chefs d’Etat et de gouvernement ont ainsi sauvé l’accord auquel ils étaient parvenus le 21 juillet 2020 à l’aube, après une réunion de cinq jours (et leurs nuits), mais qui était par la suite bloqué par la Hongrie et la Pologne, qui n’apprécient pas la « conditionnalité démocratique » attachée au Fonds de récupération et de relance, une clause permettant aux institutions communautaires d’entamer une procédure de suspension des fonds si elles détectent des dérives dans l’état de droit dans un de ses États membres (la clause a été maintenue, même si elle tardera à être appliquée). Le 17 décembre, le Parlement européen a approuvé définitivement le nouveau paquet financier (par une grande majorité de 548 sur 695 voix dans l’Europe politiquement polarisée).
De plus, l’accord sur le Fonds de récupération et de relance sera financé avec l’émission de dette par la Commission européenne, pour la première fois dans l’histoire des institutions communautaires. Parallèlement, de nouveaux « impôts européens » ont été approuvés (un mécanisme d’ajustement en frontière des émissions de carbone et une taxe digitale, ainsi que de nouvelles ressources propres pour l’UE encore à discuter). Il s’agit, sans doute, d’un premier embryon de fédéralisme fiscal européen.
Au lendemain de leur accord budgétaire, les leaders européens se sont fixés comme objectif « contraignant » de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 1990. Même si les États européens auront du mal à atteindre cet objectif (ils ont systématiquement manqué tous les engagements antérieurs), le message est très fort : une « conditionnalité écologique » régira le déboursement des ressources du Fonds de récupération et de relance, et 30% de l’ensemble de ces fonds et du budget communautaire seront dépensés pour lutter contre le changement climatique. Place au pouvoir transformateur du budget européen, déjà prouvé dans le passé par les fonds structurels et de cohésion, notamment dans les pays du sud de l’Europe.
Somme toute, au moment où tout le monde chante la crise de l’Union européenne, et elle semblait se trouver devant une crise existentielle, surtout après le BREXIT et sa réaction tardive à la crise du Coronavirus[2], et comme autant de fois par le passé, l’Union européenne a affronté la crise faisant un bond en avant dont elle sort renforcée. Comme l’avait dit Galileo Galilei, en 1633, juste après abjurer devant le Tribunal de l’Inquisition de sa théorie de la centralité du soleil dans l’univers : « eppur si mouve » (et pourtant elle tourne).
Plus de solidarité interne, moins de solidarité externe
L’accord des 27 États membres a une grande tache : autant la solidarité interne entre les pays européens est très renforcée, autant la solidarité internationale de l’UE reste congelée au moment où les pays pauvres en ont le plus besoin[3]. En effet, le Fonds de récupération et de relance avait initialement une dimension externe de solidarité avec les pays moins développés qui a vite disparu dans les négociations entre les Chefs d’Etat et de gouvernement. Et déjà dans l’accord du 21 juillet 2020, le budget prévu pour le nouvel instrument financier de l’aide au développement, l’Instrument de voisinage, développement et coopération internationale, a été réduit de 4,7 milliards d’euros pour faire face aux autres priorités. Dans les négociations entre juillet et novembre, le Parlement européen a arraché quelques cessions dans les programmes de recherche Horizon Europe (+ 4 milliards d’euros) et sur le programme d’échanges universitaires ERASMUS+ (+2,2 milliards d’euros), mais l’inexistence d’un « champion » de la solidarité internationale de l’UE a laissé sans modification les fonds pour la coopération. Finalement, et comme on peut le constater dans le tableau ci-dessous, l’allocation pour l’IVDCI a été fixée à 70,8 milliards d’euros, ce qui fait que l’UE, le premier bailleur mondial d’aide au développement, revient à son niveau de 2014-2020[4]. Avec cette Commission européenne qui se veut « géopolitique », et à en juger par le budget approuvé une année après sa prise de fonctions, la projection internationale et la solidarité avec les pays moins développés ne sont pas une priorité pour l’Union européenne en cette période de crise.
Crédits alloués à l’action extérieure dans le Cadre financier pluriannuel de l’UE 2021-2027 et dans le CFP actuel 2014-2020 (prix 2018)
|
CFP |
Proposition de la Commission européenne (mai 2018) |
Accord final CFP |
CFP total (en % du RNB de l’UE) |
1.16% |
1.11% |
1.054% |
Total CFP (en milliards d’euros, prix courants) |
1,062 |
1,279 |
1,074 |
Instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale |
70.43 |
89.5 |
70.8 |
Dont : Programmes géographiques Dont : Voisinage |
57.56
26.1 |
68
32 |
53,8
26.00 |
Aide humanitaire |
8.56 |
11 |
10,26 |
Sources : Tableau élaboré sur la base des propositions officielles publiées par les institutions concernées
* En excluant les dépenses du Royaume-Uni et en incluant le Fonds européen de développement.
[1] Pour les détails sur sa répartition, voir https://www.consilium.europa.eu/media/47567/mff-2021-2027_rev.pdf.
[2] Voir Opinion du 22 mars 2020, « Europe à l’épreuve », https://www.policycenter.ma/opinion/maelstrom-du-coronavirus-l%E2%80%99europe-%C3%A0-l%E2%80%99%C3%A9preuve#.X9xdhdhKg2w.
[3] Voir l’article publié dans Le Monde par Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Hervé Berville le 17 décembre 2020 : « Covid-19 : Pour surmonter de manière globale la crise causée par la pandémie, il faut une aide massive aux pays pauvres », https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/16/covid-19-pour-surmonter-de-maniere-globale-la-crise-causee-par-la-pandemie-il-faut-une-aide-massive-aux-pays-pauvres_6063549_3232.html.
[4] Pour une analyse détaillée, voir Policy Brief du Policy Center for the New South d’avril 2020 par Iván Martín, « Un budget pour soutenir l'ambition mondiale de l'Europe dans les sept prochaines années », https://www.policycenter.ma/sites/default/files/PB%20-%2017-20%20%28IVAN%20Martin%20%29%20FR.pdf