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Opinion
Un enlèvement au Bénin
Le 1er de ce mois de mai, alors qu’éclatent au Bénin des violences au sujet des résultats des élections, deux touristes français sont enlevés au parc de Pendjari, au Nord-ouest du pays, à proximité des frontières avec le Burkina Faso.
Trois jours, plus tard, les autorités béninoises confirment l’enlèvement et soulignent la découverte, dans le cadre de l’enquête, du corps d’un homme qui s’avérera, par la suite, être celui du guide béninois des touristes enlevés.
Les premières constations de cette enquête révèleront, également, des traces de traversées de la rivière Pendjari en direction du Burkina Faso.
Le 10 mai, au matin, les autorités françaises annoncent la libération des personnes enlevées, grâce à une opération de l’armée française qui a engagé une vingtaine d’éléments commandos. L’opération, appuyée par le renseignement américain et la logistique de l’armée burkinabée, s’est soldée par :
- La libération de quatre otages – les deux Français, une Américaine et une Coréenne, dont la présence aux mains des ravisseurs était ignorée de l’armée française ;
- Le décès de deux soldats français et de quatre des six ravisseurs, deux ayant réussi à prendre la fuite.
Il ressort des déclarations de la ministre française des Armées et du chef d’Etat-major français, que les ravisseurs avaient été pistés dès les premières heures avant l’enlèvement jusqu’au moment où les conditions avaient été favorables à l’infiltration et à l’assaut.
Le Benin contaminé ; fait inquiétant mais pas surprenant
Si les faits interpellent de par la complexité de la mission réussie par les commandos français, et la présence aux mains des ravisseurs de deux autres otages dont les pays respectifs ignorent l’enlèvement ; le fait le plus marquant et le plus inquiétant, même s’il n’est pas surprenant, reste l’extension de l’activité terroriste au Nord-ouest du Benin, un pays qui, jusqu’à un passé proche, échappait à la nébuleuse terroriste. L’avancée inquiétante du terrorisme sahélien vers la côte atlantique se confirme et, avec elle, la tendance du phénomène à progresser selon un axe Nord/Sud qui l’a conduit du Nord du Mali, au début du siècle, aux confins de l’océan, moins de vingt ans plus tard.
Le fait n’est pas surprenant, parce que déjà en octobre 2018, les ministres togolais, ghanéen, burkinabé et béninois, sentant la menace, s’étaient réunis pour étudier la question de la lutte contre un terrorisme se dirigeant depuis son foyer sahélien vers leurs pays. L’initiative, qui fut louée en son temps parce que destinée à anticiper une menace avérée, resta cependant de portée limitée puisqu’elle ne donnait lieu à aucune action concrète perceptible sur le terrain.
Les français engagés dans la région, et disposant d’information et d’analyses fiables, n’ont pas manqué, plusieurs mois avant l’enlèvement des deux touristes, de signaler la bande frontalière entre le Burkina et le Bénin comme déconseillée, sauf motif impératif. C’est dire à quel point la propagation au Bénin des actions des groupes armés n’est pas une surprise. D’ailleurs, si la France avait, en 2013, réagi pour empêcher une extension de la mouvance terroriste vers le Sud du Mali, c’est qu’elle était convaincue qu’une fois la progression du phénomène entamée, il serait difficile de la stopper, la contenir ou la confiner. Une vision confirmée dans les faits, puisque Serval ne réussit qu’à geler momentanément le fléau qui, dès 2014, reprend son avancée et fait tache d’huile, en se répandant au Niger et au Burkina, avant de menacer de manière sérieuse, le Bénin, le Ghana, le Togo, la Côte d’ivoire, voire même le Sénégal.
Le Burkina : un dernier verrou qui ne doit pas sauter
En atteignant le Burkina Faso, la violence extrémiste entame la dernière ligne droite avant les côtes atlantiques de l’Afrique de l’Ouest. Le phénomène, déjà implanté et bien présent en Méditerranée (Libye) et sur les côtes de la Mer Rouge (Somalie), verrait sa capacité de nuisance encore plus renforcée s’il parvient à se frayer un chemin vers l’Atlantique.
Les projets de maritimisation de l’économie africaine, notamment sur les côtes atlantiques, passent par un environnement politique et social sécurisé, stable et pacifié et, par conséquent, protégé contre les menées de la violence terroriste. De plus, la littoralisation du peuplement dans la région appelle un effort de gestion qui ne peut être déployé s’il est harcelé, sapé et usé par les actions subversives et déstabilisatrices du terrorisme.
Or, au rythme où évolue la situation sécuritaire de la région, tout pousse à croire qu’à défaut de réaction urgente, coordonnée et déterminée de la part des Africains et de la communauté internationale, la côte afro-atlantique ne tarderait pas à tomber sous le joug de la violence extrémiste.
Le Burkina constitue le verrou qui ne doit pas sauter, au risque de voir la porte grande ouverte aux groupes terroristes vers les pays côtiers de l’Atlantique. Ce verrou est aujourd’hui malmené et risque de céder complètement ; le pays fera, alors, office de pont entre les foyers actuels du Sahel et l’Océan atlantique. Le pays partage, en effet, plus de 1500 km avec quatre Etats de la côte atlantique Ouest-africaine. Ces frontières doivent constituer une sorte de ligne rouge qui, une fois dépassée, la déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest deviendrait quasiment irréversible.
Dans un Policy Brief, publié en février 2016, sous le titre : « De la Méditerranée à l’Atlantique : le couloir de vulnérabilité face au terrorisme », j’avais signalé la menace que constituerait une jonction entre le terrorisme en méditerranée (Libye) et celui qui sévit au Nigéria (Atlantique), jonction qui pourrait se concrétiser à travers le Niger. Il s’ajoute, aujourd’hui, un autre canal de liaison qui met en péril un plus grand nombre de pays. Le Burkina en est le passage obligé. Si le pays est abandonné à son sort, et si les ripostes africaines et internationales n’évoluent pas pour gagner rapidement en intensité et en coordination ; il serait, bientôt, malheureusement, tard pour sauver la région Ouest-africaine de la déstabilisation.
L’enlèvement de touristes au Benin est le signal faible qu’il ne faut pas négliger. Cet évènement rappelle la situation au Nord du Mali à la fin des années 90, où le pays ne connaissait que quelques rapts sporadiques, avant de devenir, plus tard, le pont par lequel le terrorisme a infesté tout le Sahel.