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Opinion
Le monde : ‘’Une société de crise’’
La multiplication de catastrophes naturelles et la montée de leur probabilité d’occurrence, la répétition des crises de tous genres (économiques, politiques, sociales et sécuritaires) et l’interdépendance accrue, du fait de la mondialisation, ont mis au premier plan le facteur de la résilience[1]. En effet, il ne s’agit plus d’évaluer le risque ou de l’anticiper, tellement sa probabilité d’occurrence s’est accrue, mais surtout de limiter les dégâts et d’assurer la reprise après le désastre. Aucun Etat ne peut, aujourd’hui, face aux calamités, se poser de question sur la probabilité de son exposition aux risques, ces derniers sont tellement nombreux et fréquents que la chance d’y échapper dans un monde globalisé devient quasi nulle.
Dans le discours, surtout, mais aussi dans les actions et les comportements, le monde ne prétend plus neutraliser le risque ou le pousser le plus près possible du niveau zéro. La catastrophe est aujourd’hui admise comme faisant partie du quotidien, comme une réalité avec laquelle il faut vivre et aux effets et impacts de laquelle il faut survivre. Entre catastrophes naturelles, pandémies, turbulences politiques, perturbations sociales, crises économiques et troubles sécuritaires, le monde vit en crise permanente. Nous sommes passés de la ‘’société du risque’’ à la ‘’société de crise’’.
La seule issue possible devient le développement de capacités, à même de tempérer les effets des événements néfastes pour éviter l’ébranlement de l’Etat et sa faillite après le passage d’une crise. Autrement dit, développer sa résilience. Être capable de repartir, de se relever après les interruptions et les ruptures.
La résilience en Afrique
- Au niveau structurel
La résilience en Afrique souffre plusieurs maux. La faiblesse des infrastructures, aussi bien dans les domaines du transport, de l’éducation, de la santé et de la communication, représente une vulnérabilité importante et un handicap majeur au développement de la résilience dans plusieurs pays africains. L’insuffisance en cadres formés et à même de faire face aux crises dans les domaines de la gouvernance, de la sécurité et de l’économie, aggrave la vulnérabilité et affaiblit la résilience. Des cerveaux africains préfèrent s’expatrier pour différentes raisons et leur génie profite aux pays où ils se sont établis. Il en résulte que le niveau de la recherche, du développement et de l’innovation est très précaire dans le continent. S’ajoute à cela, qu’une grande majorité des pays africains reste, économiquement, loin du niveau qui puisse assurer une résilience acceptable. Dépendant généralement de l’exportation de matières premières, du tourisme ou des transferts financiers des diasporas, les économies de nombre de pays africains vacillent à la moindre crise.
- Au niveau de la résilience organisationnelle
Les problèmes de gouvernance que connaissent certains pays du continent entravent l’établissement d’un processus de prise de décision assurant à la fois fiabilité et rapidité, caractéristiques indispensables à l’organisation en temps de crise. Le manque de structure de communication et de couverture, par les autorités, de l’ensemble de leur territoire nuit à la coordination sur le terrain en temps de catastrophe ou de crise. Si les capitales sont au centre des mesures de réponse aux catastrophes, les périphéries souffrent souvent de leur éloignement des centres de décision. Les faiblesses, surtout en nombre des forces de l’ordre, de l’administration et de l’autorité est un handicap à l’application stricte et rigoureuse des stratégies de crise, les rapports forces de l’ordre/territoires et populations sont souvent faibles, et les forces existantes sont dans certains cas sans formation ou compétences pour la gestion des cas de crise.
- Une résilience le plus souvent dépendante
En général, se relever après une épreuve dépend dans plusieurs pays africains de l’apport du soutien et de l’aide extérieurs. Les pays du continent sont très dépendants de l’extérieur pour surmonter les affres d’une catastrophe. Si la solidarité internationale est un facteur nécessaire pour tous les pays du monde, cet apport n’est qu’un complément aux capacités intrinsèques dans les pays développés. En Afrique, l’essentiel des actions et moyens pour faire face à une calamité reste dépendant du soutien extérieur. Cette aide n’arrivant généralement pas à temps, les pays africains subissent de lourdes pertes avant que la solidarité internationale ne franchisse les lourdeurs administratives et ne surmonte les difficultés logistiques. En conséquence, les crises laissent en Afrique de graves séquelles, même si les pays touchés sont in fine aidés à se relever.
Quelle résilience pour le continent ?
- Il est prématuré de juger la résilience africaine au prisme du Covid-19
Politologues, économistes, médias, politiciens et sociologues s’accordent à annoncer un drame futur en Afrique, du fait de la dissémination du virus Covid-19. Pourtant, en dehors des Afriques des extrêmes (Nord et Sud), le continent semble, pour le moment, relativement épargné par rapport à l’ampleur du désastre aux Etats-Unis d’Amérique (USA) et en Europe, mais aussi en Chine (où seul Dieu et le parti communiste connaissent la véritable ampleur des dégâts).
Une évaluation de la résilience, par l’impact, est donc prématurée en Afrique dans le cas particulier du Covid-19. La résilience africaine face au Coronavirus ne peut pour le moment être étudiée qu’au vu de la résilience structurelle des pays africains, c’est-à-dire leurs propres capacités à faire face à la pandémie, si celle-ci atteint des dimensions graves, à l’instar de ce qui se passe en Europe et aux USA.
- L’Afrique ne peut s’en sortir que si l’aide internationale est conséquente
Au vu des instruments généraux de résilience (infrastructure, cadres, niveau de la recherche, niveau économique, capacités de coordination et structures de gestion de crise), l’Afrique ne parait pas présenter des facteurs de résilience face à la crise mondiale du Coronavirus.
La crise trouve l’Afrique dans un état d’indigence grave en termes d’infrastructures sanitaires. De plus, son économie se trouvera affectée au plus haut point. L’arrêt des structures industrielles dans le monde diminue la demande en matières premières, d’où une chute des prix de ces ressources minières et pétrolières. Le tourisme, source de revenus de plusieurs pays africains, est bloqué par le gel de la circulation entre pays du monde et les transferts financiers des diasporas se trouvent affectés par la crise dans les pays de séjour.
Pour faire face à la crise sanitaire ou limiter ses retombées économiques, l’Afrique ne peut compter que sur une aide conséquente de la communauté internationale. Sa résilience à la crise est fonction de la dimension de l’aide des autres pays. Reste à savoir si devant le Covid-19, les autres pays sont en mesure de fournir une aide conséquente, à un moment où eux-mêmes font face à des manques flagrants en moyens de lutte ?
Le seul véritable salut de l’Afrique face à la pandémie est qu’elle soit épargnée ou que la propagation se limite à des dimensions contrôlables par les seuls moyens de bord locaux.
Références :
- Communautés et Etat dans les systèmes de santé en Afrique ; Marc-Éric Gruénais ; https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/pleins_textes_7/b_fdi_03_02/010026425.pdf
- « Du double affrontement ontologique/axiologique autour de la résilience aux risques de catastrophe : les spécificités de l’approche française » Béatrice Quenault in VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement Volume 13 Numéro 3 | décembre 2013.
[1] Le concept se révèle tellement important que les armées deviennent un élément crucial du dispositif. En France, afin de fédérer et de coordonner l’ensemble des actions conduites par les Armées en soutien du combat collectif contre l’épidémie, le Président de la République lance une opération militaire dédiée : l’opération Résilience.