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Opinion
L’action publique urbaine dans le monde connait une métamorphose grâce à la montée en puissance du numérique dans la production et la gestion de la ville. Si le Maroc a franchi des étapes importantes dans la dématérialisation de certains services publics (impôts, cadastre, marchés publics, etc.), en revanche, d’autres secteurs peinent à suivre la même voie au moment où l’actuelle crise sanitaire de la Covid-19 vient rappeler l’urgence de la structuration de l’écosystème digital et la promotion de l’administration numérique. Ce sont les missions premières de l’Agence de développement du digital, créée en 2017, dans l’objectif de mettre en œuvre la stratégie de l’Etat en matière de développement de l’administration en ligne et de promouvoir la diffusion des outils numériques. D’ailleurs, la Cour des Comptes a relevé le retard du pays en la matière dans son rapport de 2018, en précisant que ‘’le Maroc s’est classé 78ème dans l’indice des services en ligne et 110ème dans l’indice de l’e-gouvernement’’.
Processus incontournable de l’urbanisme numérique, la dématérialisation en urbanisme porte essentiellement sur les autorisations de construire, la numérisation des documents et la mise en place de Géoportails et plateformes participatives (enquêtes publiques, élaboration des documents d’urbanisme, co-construction des projets urbains, etc.).
Par dématérialisation, il est entendu le recours au numérique pour la collecte, le traitement et la diffusion des données traditionnellement présentées sous format papier. L’objectif est de simplifier les procédures administratives, réduire les délais de traitement et d’accessibilité à l’information et, in fine, créer l’environnement favorable à l’investissement.
Dans un monde marqué par l’incertitude et la pluralité des acteurs, le chantier de la dématérialisation a été fixé comme priorité majeure dans le programme de l’autorité gouvernementale chargée de l’urbanisme. Toutefois, entre la bonne intention et l’absence d’un cadre qui précise le(s) porteur(s) de cette dématérialisation, ses modalités et ses échéances, le bilan est mitigé et fait ressortir un retard dans le processus engagé. Un des modèles d’inspiration pour nos décideurs, la France s’est fixée 2022 pour une digitalisation de l’urbanisme à l’échelle de l’hexagone. Soit l’écosystème dans ses différentes facettes : autorisations, numérisation des documents d’urbanisme et leur intégration dans un géoportail national à des fins d’analyse et de suivi des dynamiques urbaines, de prospective territoriale et de mise à jour.
Les premières expériences
Au Maroc, les premières expériences de l’urbanisme numérique remontent au milieu des années 1990, avec la numérisation de la deuxième génération des schémas directeurs d’aménagement urbain, la mise en place d’un Système d’Information Géographique (SIG) interactif des documents d’urbanisme de villes pilotes et d’un observatoire des indicateurs urbains. Cependant, les ambitions de mise en œuvre ont été ponctuées par des phases de réalisation creuses, et ce faute d’une gouvernance unifiée et d’un portage stratégique et opérationnel et, surtout, en raison des choix du contexte social et politique de l’époque.
Par ailleurs, si la conjoncture des années 2000 était favorable à l’implémentation de l’urbanisme numérique sur de bonnes assises, il convient, en revanche, de souligner que les décideurs de l’époque ont jeté les bases de ‘’l’urbanisme à crédit’’, qui lègue une très lourde facture aux générations futures, (une mobilisation des milliers d’hectares du foncier, des villes nouvelles inachevées, un habitat social à ‘’obsolescence programmée’’...).
L’urbanisme numérique consacré par la réglementation
Avec l’adoption du règlement général de construction en 2013 (Décret n° 2-13-424), fixant la forme et les conditions de délivrance des autorisations en urbanisme, la dématérialisation acquiert sa portée juridique (art.47) par une injonction aux acteurs concernés de mettre en place des bases de données numériques interactives communes (art. 48). Toutefois, sans compter sur la faible adhésion des acteurs locaux. Il a fallu, donc, un portage au niveau de la Direction générale des Collectivités locales (DGCL) pour embarquer les acteurs qui évoluent dans les clusters de l’urbanisme sur la voie du numérique. Conforté par le Décret n°2-18-475 du 12 juin 2019, instituant la dématérialisation des autorisations d’urbanisme (art.53) et les modalités de sa mise en œuvre (art.54), le déploiement de la plateforme rokhas.ma est synonyme d’un aggiornamento de l’heure de l’urbanisme numérique après plusieurs tentatives non entreprenantes.
Le Géoportail national de l’urbanisme : la pièce manquante à l’écosystème
Le nouveau dispositif juridique rend désormais incontournable l’accès en ligne aux documents d’urbanisme. A charge pour les agences urbaines d’emprunter cette voie pour faire des Géoportails des documents d’urbanisme la pièce manquante de l’urbanisme numérique. Il est à rappeler que le Géoportail de l’urbanisme est un ensemble de données géographiques (bâti, voirie, équipements, mobilier urbain, espaces verts, etc.) et de données alphanumériques (démographie, superficie, règlement, etc.) issues des documents d’urbanisme (Plans d’aménagement), des règlements et des recensements de la population. Le Géoportail de l’urbanisme permet à chaque citoyen, promoteur, aménageur ou investisseur de localiser un terrain, de connaître le zonage et les prescriptions d’urbanisme qui s’y appliquent. Aussi, convient-il de souligner que l’importance du géoportail réside dans sa capacité à interroger, via un SIG, les données géographiques et superposer les différentes couches d’information (fond cadastral, photo aérienne), et créer des cartes thématiques sur l’évolution urbaine et territoriale.
Des pistes à baliser
Si la démarche actuelle portée par le ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la Ville semble être la décision à la bonne échelle pour répondre aux enjeux techniques et de pilotage du Géoportail national, il est indiqué que l’agence urbaine, en tant que pôle producteur de la donnée urbaine, constitue l’élément central de l’alimentation dudit Géoportail dans un format numérique fiable et exploitable. Il importe, toutefois, de souligner que pour asseoir l’urbanisme numérique sur des assises solides, certains défis sont à relever. Ils renvoient à la fracture numérique au sein des agents de l’urbanisme, à la rareté du capital humain formé aux métiers des SIG (géomaticiens) et les systèmes d’information et de gestion des données. Par ailleurs, l’urbanisme numérique est synonyme de la communication et de l’open data. Deux prérequis qui sont loin d’être l’ADN des agences urbaines. Pour preuve, la plupart des portails internet de ces établissements appartiennent à la génération du web 1.0. Si l’urbanisme est à l’heure du numérique, en revanche, les acteurs locaux, avec quelques exceptions, ont du chemin à parcourir. Ne pas saisir cette réalité revient à hypothéquer les opportunités qui s’offrent pour œuvrer vers des agences urbaines digitalisées.
L’avenir dira si le développement de l’urbanisme numérique au Maroc sera à la hauteur des promesses. Mais, nous pouvons déjà avancer l’hypothèse qu’il s’agira d’un élément central de l’évolution vers la ville numérique.
L’urbanisme numérique doit servir à construire la ville de demain. La transition en cours vers un nouveau modèle de développement représente une opportunité de faire du numérique (plateformes et services en ligne) un levier pour l’amélioration de la qualité de vie, l’attractivité territoriale et la création de la valeur économique.