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L’avenir du travail : quel effet d’une automatisation accrue ?
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Yassine Msadfa
November 5, 2018

Il y a une dizaine d’années, le nombre et la complexité des taches que pouvaient effectuer les robots semblaient encore limités. Aujourd’hui, certains robots, munis d’une intelligence artificielle développée, réussissent à apprendre et à exceller dans des jeux de stratégie assez complexes, comme les échecs ou le jeu de GO. Le développement de la robotique, de l’intelligence artificielle et de l’automatisation, en général, s’est fait de façon relativement rapide, incitant plusieurs experts à prévoir un avenir où les hommes peineraient à trouver du travail dans le sens où le gros du travail serait fait par des machines.

Cependant, les économistes ont eu toujours tendance à avoir des opinions différentes de celles des futuristes et des patrons de la « Silicon Valley ». En effet, à la question : craignez-vous que les nouvelles technologies provoquent un chômage de masse, de nombreux économistes répondent par la négative.

L’une des raisons pour lesquelles de nombreux économistes sont sceptiques à l’idée que les machines s’empareront du travail humain, réside dans le fait que ce phénomène n’est pas récent.  Dans l’histoire des États-Unis, par exemple, il est bien documenté que durant la fin des années 20, et tout au long de la décennie 1930, il y’a eu un pic d’automatisation où les machines commencent à remplacer la force de travail humaine dans plusieurs fermes et usines. Un article paru dans le New York Times, le 26 février 1928, décrit bien ce phénomène, en retraçant la disparition de plusieurs emplois notamment dans le métro local où il y avait des gardiens qui ouvraient les portes sur les rames. Au cours de cette même année, le quotidien new yorkais publiait à sa Une un nouvel article intitulé 17500 « débardeurs », qui protestait contre l’automatisation des quais. Si peu d’entre nous savent en quoi consiste le métier de « débardeur », c’est parce que la technologie l’a détruit, et ce malgré le fait que l’offre de travail persiste.

PCNS

Source : Deutsche Bank   

 

Le graphique ci-dessus montre l’évolution du taux de chômage aux États-Unis depuis 1901. Au cours de cette période, la technologie a été la raison directe de la disparition de quelque 8 millions d’emplois dans l’agriculture, 7 millions dans l’industrie, plus d'un million de travailleurs ferroviaires et une centaine de milliers d'opérateurs téléphoniques ont vu leurs emplois disparaitre. Et même avec une participation de plus en plus importante des femmes au marché de travail, le taux de chômage dans ce pays ne dépassait pas 10%, sauf en cas de grande crise économique. Lorsqu’on consulte les différents écrits sur ce sujet, il est à la fois très aisé de constater ces destructions d’emplois et difficile d’imaginer les différentes opportunités qu’offre le progrès technologique.

En effet, les nouvelles technologies peuvent créer des emplois de plusieurs manières : il y a les emplois directs dans la conception et la maintenance de ces nouvelles technologies et, parfois, des industries complètement nouvelles émergent grâce au progrès technologique. En plus, il y’a l’effet indirect de ce progrès, qui est plus complexe à visualiser. L’automatisation permet l’augmentation de la productivité des entreprises leur offrant, ainsi, plus d’opportunités de se diversifier (mettre en place de nouveaux produits) ou bien pour s’étendre (ouvrir de nouvelles filiales). De plus, les entreprises deviennent de plus en plus susceptibles de baisser leurs prix, pour être compétitives, permettant une augmentation de la consommation. Ce processus est la façon dont le niveau de vie s'est amélioré au fil du temps et il a toujours nécessité du travail. La logique économique, ici, est que l’automatisation remplace effectivement le travail humain dans certains secteurs, mais cela n’affecte pas le nombre total des emplois dans l’économie en raison de ces effets compensatoires. Cependant, cela ne signifie pas que les nouveaux emplois se manifestent instantanément ou qu’ils seront situés à la même localisation géographique ou, encore, au même niveau de salaire que les emplois détruits. Pour de nombreux économistes, cela signifie que le besoin global de travail humain n’est pas enclin à disparaitre.

PCNS

Source: inspiré de David H. Autor (2015) “Why Are There Still So Many Jobs? The History and Future of Workplace Automation” Journal of Economic Perspectives.

 

Plusieurs experts dans le domaine de la technologie ne sont pas de cet avis. Tout en admettant que le processus décrit plus haut est indéniable historiquement, ils considèrent que nous vivons dans une phase du progrès technologique sans précédent. Leur principal argument est qu’il est facile de sous-estimer la technologie de nos jours. 

Dans un livre paru en 2004, sous le titre “The New Division of Labor How Computers are Creating The Next Job Market”, deux économistes, Frank Levy et Richard Murnane, évaluent l’avenir de l’automatisation et son effet sur l’évolution de l’économie mondiale. Ils concluent, entre autres, que des taches telles que la conduite en pleine circulation routière peut être extrêmement difficile à enseigner à une machine. La même année, une étude regroupant les principaux résultats issus de 50 ans de recherche scientifique1 a conclu que la reconnaissance vocale par les machines s’avérait être un objectif difficile à atteindre. Aujourd’hui, la reconnaissance vocale n’est plus de la science-fiction, comme en témoignent les différents assistants vocaux comme Google AssistantSiri ou bien bixby, pour ne citer que ceux-ci. 

En 2017, les voitures autonomes de Googleont parcouru 5 millions de kilomètres sur les routes américaines. Cependant, même s'il y a eu toutes ces innovations, leur impact n’est pas visible sur la productivité (du moins il n’apparait pas dans les données statistiques). Même si cette forte augmentation de l’automatisation devrait se traduire naturellement par une croissance de la productivité, c’est souvent le contraire qui est constaté. Nous sommes témoins d’un ralentissement de la productivité depuis le début des années 2000, non seulement aux États-Unis, mais également dans d’autres pays industrialisés. 

PCNS

Source : The Conference Board

 

Il est possible que les nouvelles technologies changent notre vie sans transformer fondamentalement l'économie, ce qui ouvre la voie à des spéculations et n’apporte pas de réponse concrète quant à l’avenir du travail.  

Cependant, le développement technologique est source d’inégalité. La richesse créée par la technologie n'est pas nécessairement partagée par tout le monde. Pour revenir à l’exemple des États-Unis, même si le chômage est resté relativement bas, l'automatisation a aggravé les inégalités économiques. Le graphique ci-dessous montre comment les revenus des 20% les plus riches parmi les ménages américains ont évolué par rapport aux autres strates de la société, l’écart devenant de plus en plus grandissant.

PCNS

Source : Congressional Budget Office, États-Unis

 

Ceci a placé le sort des laissés-pour-compte de la technologie au centre des débats publics où on commence à entendre des voix proposant des solutions comme le revenu universel pour n’exclure personne des retombées du développement technologique. En effet, nous sommes et resterons, probablement à jamais, fascinés par la perspective de voir les robots remplacer le travail humain. Toutefois, si nous nous concentrons sur des choses que nous ne pouvons pas vraiment contrôler, nous risquons de négliger celles sur lesquelles nous avons un impact.

***

1 - Fifty years of progress in speech recognition. The Journal of the Acoustical Society of America 116, 2498 (2004).

2 - Google cars.

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