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Le Forum Génération Égalité s’est tenu, du 30 juin au 2 juillet 2021, à Paris et virtuellement dans le monde entier. Organisée par la France sous l'égide de l’ONU et présidée par le Président de la République française, Emmanuel Macron, cette grande assemblée multilatérale entendait répondre à «l'urgence d'égalité réelle entre les femmes et les hommes » [i].
Dans un monde impacté par la crise sanitaire, et où, selon le Global Gender Report du World Economic Forum[ii], les inégalités de genre se sont amplifiées, les femmes devront attendre encore plus d’un siècle avant de connaître un monde égalitaire.
Le Forum Génération Égalité intervient ainsi à un moment clé de l’Histoire où il est nécessaire de s’attaquer à ces nouvelles fractures sociales, économiques, climatiques qui creusent les inégalités entre les femmes et les hommes. Plus d’un quart de siècle après le Forum de Pékin, en 1995, cette grande assemblée ambitionnait de faire bouger les lignes en mobilisant les nouvelles jeunes générations.
J’ai eu l’opportunité d’assister à la cérémonie d’ouverture du Forum de Paris qui a connu la participation de 40 chefs d’Etat et de gouvernement et de représentants de la société civile.
Entre de nouveaux enjeux géopolitiques, des aspirations des nouvelles générations de femmes leaders et les défis d’un Président en mode reconquête dans la perspective des présidentielles de 2022, le Forum Génération Égalité marque un tournant majeur.
Une ambition géopolitique française : la diplomatie féministe
Au cœur de l’organisation de ce premier forum mondial post pandémie sur la question de l’égalité, l’ambition de la France qui veut s’imposer comme le pays leader d’un nouveau style de diplomatie : « la diplomatie féministe » [iii].
Ce nouveau concept, qui promeut une politique étrangère et une stratégie internationale avec comme boussole principale les droits des femmes, est défendu par le gouvernement français depuis 2018. Déjà mis en œuvre par des pays tels que le Canada et la Suède, les ravages de la crise sanitaire sur les conditions de vie de millions de femmes, mettent en lumière, du point de vue français, la nécessité d’une diplomatie axée sur les droits des femmes.
Dans un monde répondant à un nouvel ordre géopolitique, où les nouveaux conservatismes utilisent la question du rapport au genre pour asseoir leur autorité, Paris entend être à la tête d’un nouveau pôle mondial défendant une vision féministe, humaniste et progressiste du monde, sa version unique de la diplomatie féministe.
Le discours du Président Emmanuel Macron lors de la cérémonie d’ouverture est sans équivoque : « On ne cédera rien à toutes celles et ceux qui veulent nous faire reculer au nom d'une religion, au nom d'une philosophie, au nom d'une vue politique, au nom d'un projet nationaliste ». Le chef de l’Etat français a mis en exergue deux blocs idéologiques qui s’opposent.
D’un côté, le bloc des conservateurs, de l’anti-féminisme, avec des pays comme la Turquie (avec son retrait de la Convention d'Istanbul qui vise à combattre la violence à l'égard des femmes) ou encore la Pologne (avec sa série de lois liberticides remettant en cause les droits des femmes). De l’autre côté, un bloc féministe, progressiste dont le Président Macron souhaite prendre le leadership.
Les interventions des représentants des États-Unis, du Canada, du Kenya, du Mexique, d’Afrique du Sud, de la Belgique, de la Finlande ou, encore, de l’Allemagne, en faveur d’un renforcement des droits des femmes, démontrent que la défense de l’égalité des genres est la valeur qui fédère ces pays.
Très applaudie, Kamala Harris, la Vice-présidente des Etats-Unis, soulignera que « Renforcer la démocratie c’est avant tout renforcer les droits des femmes », ce qui résume parfaitement l’idéologie qui unit cette nouvelle alliance multilatérale.
Cette diplomatie féministe atteint son point culminant dès le discours introductif du Président Emmanuel Macron : « je revendique avec les dirigeants qui sont là d'être féministe, d'être féministe au nom du fait que le féminisme est un humanisme et que défendre la dignité des femmes, les droits des femmes, c'est en même temps défendre la dignité et les droits des hommes ».
Une affirmation à l’adresse du monde mais aussi à l’attention des 40000 personnes inscrites sur la plateforme digitale du Forum Génération Égalité. Car pour donner un nouvel élan à ce Pékin 3.0, le Forum Génération Egalité souhaitait également capter l’attention des nouvelles générations connectées.
Une nouvelle génération de femmes leaders qui veut aussi
prendre le pouvoir
Lors de la rencontre de Paris, la parole était ainsi donnée à une nouvelle génération de jeunes femmes activistes qui souhaite faire entendre sa voix malgré les défis sociaux ou économiques dans leurs pays respectifs.
Face à Antonio Guterres, Secrétaire général des Nations unies, Charles Michel, Président du Conseil européen, Hillary Clinton, ancienne Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, il y avait des jeunes femmes leaders dont Julieta Martinez, activiste du Chili, Yande Banda, activiste de Zambie ou encore Roukieta Ouedraogo, activiste du Burkina Faso.
La nouvelle génération interpelle l’ancienne et affirme avec aplomb vouloir être la génération des solutions, celle qui mettra, enfin, un terme aux inégalités de genre.
En marge de la cérémonie d’ouverture à Paris, j’ai pu m’entretenir avec ces nouveaux visages du féminisme. Des jeunes femmes, majoritairement originaires d’Afrique, qui entendent rompre avec les codes du passé et imposer sans peur leur leadership sur la scène internationale.
Aya Chebi, Ancienne Envoyée spéciale Jeunesse pour l’Union africaine et Présidente de l’Association féministe et panafricaine NALA - Tunisie
Icône de cette nouvelle génération d’activistes africaines, Aya Chebi, plaide pour une meilleure inclusion des jeunes dans les processus de décision. Devant les leaders présents, elle souhaite mettre en avant la nécessité d’un co-leadership avec les nouvelles générations d’activistes. « C’est un moment important pour la jeune génération d’activistes à laquelle j’appartiens. Je souhaite que ce forum soit historique et pouvoir en parler plus tard avec fierté aux générations futures. Mais nous voulons plus que des mots, nous voulons du progrès. Beaucoup de jeunes activistes n’ont pas pu être présents c’est pour cela que nous devons nous assurer que les décisions prises ici auront un réel impact sur le reste de la population. Les jeunes femmes africaines n’ont pas de leçons à recevoir, car nous agissons déjà pour l’égalité. Ce que nous voulons c’est une collaboration claire, des responsabilités partagées et avoir un impact sur les décisions prises ».
Aya Chebi n’a pas hésité à interpeller les dirigeants présents en leur demandant « d’arrêter de se contenter de parler de l’égalité des genres et de commencer à financer l’égalité des genres. »
Passer des mots aux actes, c’est ce que demande cette nouvelle génération pour qui l’égalité n’est pas un concept vague mais une ressource vitale. La nouvelle génération de femmes leaders veut avoir sa place et son mot à dire à la table des négociations et refuse de faire de la figuration.
Anika Jane Dorothy, Coordinatrice chargée de l’Afrique de l’Est, AMPLIFY GIRLS - Kenya
« La nouvelle génération est digitale, active, libre, engagée. Le Forum Génération Égalité devait s’adapter à cette nouvelle ère. Nous ne sommes pas la génération du Forum de Pékin. Pour la jeune génération d’aujourd’hui, être à la table des négociations, être représentée est important car cela permet de faire entendre notre voix lorsque des décisions importantes sont prises. C’est grâce à l’activisme de toutes les jeunes femmes sur le terrain que les réalités vécues sont bien prises en compte lorsque les budgets sont alloués. Il reste encore beaucoup de progrès à faire pour permettre à toutes les associations du terrain de bénéficier de ces avancées comme la simplification des demandes de financement et la prise en compte de la fracture digitale pour l’accès aux informations mais l’égalité est un mouvement, donc nous continuerons à nous battre demain pour l’application des engagements pris aujourd'hui. »
Caryn Oyo Dasah, Activiste pour les droits des filles, des femmes et la paix - Cameroun
« Le chemin pour faire entendre notre voix n’est pas facile. J’ai dû faire face à des difficultés pour obtenir mon visa mais je suis fière et heureuse d’être ici et de voir les questions de paix et sécurité des femmes et des filles discutées. Car dans les zones de conflits ou de tensions, il est encore plus difficile de mener des actions pour l’égalité. Je suis heureuse de représenter mon pays le Cameroun et de porter la voix de toutes ces jeunes femmes qui se battent pour l’égalité ».
Prissy - Ibo Laure Prisca, Artiste, Chroniqueuse - Côte d’Ivoire
- Je suis ici pour représenter les femmes et les filles de la Côte d’Ivoire et les femmes en général. Je souhaite faire entendre la voix des femmes démunies. Elles n’ont pas l’opportunité d’assister à cette conférence prestigieuse au milieu des chefs d’Etat mais elles se battent au quotidien pour gagner leur vie, pour leurs familles, ce sont ces femmes les vraies leaders, ce sont ces femmes qu’il faut soutenir. »
Pour cette jeune génération d’activistes africaines, défendre l’égalité est une évidence. Cette jeune garde aspire à ce que leur leadership soit reconnu et, surtout, soutenu concrètement par le biais des engagements financiers qui permettront d’accélérer la lutte contre les inégalités.
Agenda féministe versus Agenda présidentiel
Avec 40 milliards d’euros d’engagements financiers de la part des participants, le Forum Génération Égalité répond favorablement aux attentes des activistes présentes. Cette enveloppe budgétaire représente un « tournant historique pour les droits des femmes », selon Phumzile Mlambo-Ngcuka, Directrice Exécutive d’ONU Femmes.
Cette somme se répartit entre les Etats (23 milliards d’euros), les entreprises privées (13 milliards), les fondations philanthropiques (4,5 milliards) et les organisations internationales (1,5 milliard). La France, pour sa part, a promis 400 millions d’euros sur cinq ans. « Nous venons de remettre les droits des femmes et des filles au coeur de l’agenda international. Nous avons envoyé un message très clair aux forces de régression. », s’est félicité, Jean-Yves Le Drian, Ministre français des Affaires étrangères.
Mais si le volontarisme d’Emmanuel Macron et son implication lors du Forum Génération Égalité ont globalement été bien salués, ses actions sont scrutées dans un contexte international où les grands axes des plans de relance post-crise sanitaire sont analysés et dans un contexte national de fin de mandat et de période pré-électorale.
En effet, cet engagement financier de la France, bien que considérable, peine à convaincre totalement certaines organisations telles que l’Oxfam, organisation internationale de lutte contre la pauvreté qui plaide pour « un réel plan de relance féministe »[iv] plus ambitieux, à l’image des milliards engagés par la Fondation Bill et Melinda Gates à l’issue du Forum.
Sur le plan national, même déception de la part de certaines associations féministes qui regrettent la faible médiatisation et le peu intérêt de la population pour ce forum historique mis sur le banc de touche au profit de l’actualité politique nationale des élections régionales ou encore de la compétition sportive de l’Euro.
A l’heure où les récents cas de féminicides révèlent la nécessité de combattre plus durement le fléau des violences à l’encontre des femmes, le Collectif Générations Féministes déplore également un écart entre la proclamation des droits des femmes comme « grande cause du quinquennat » par le Président Emmanuel Macron et les moyens mis en place par le gouvernement français pour combattre ces inégalités de genre.
Ces associations, à l’origine de la campagne #StopTalkingStartFunding, estiment qu’il faudrait avant tout que la France s’engage « à doubler le niveau actuel de ses financements internationaux en faveur des droits et santé sexuels et reproductifs, en consacrant a minima 200 millions d’euros annuels à ces enjeux sur la période 2021-2026 pour être à la hauteur des discours portés et du leadership politique français sur les questions de droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR) dans les enceintes internationales.» [v]
Le Forum Génération Égalité met au moins d’accord tout le monde sur une chose, la reprise économique post-Covid-19 ne peut laisser de côté 50% de la population mondiale : les femmes. Le Forum Génération Égalité marque une exigence, celle d’une reprise économique mondiale durable, inclusive et résolument féministe.
Quant à la poursuite de l’action féministe d’Emmanuel Macron, celle-ci est certainement conditionnée par sa victoire aux prochaines élections présidentielles en avril 2022. Les nouvelles générations féministes sont bien loin de ces considérations d’agenda politique car avec ou sans Emmanuel Macron, elles seront bien présentes au rendez-vous de 2026 pour le suivi des engagements formulés à Paris en 2021.
Patricia Ahanda est lauréate du programme ADEL 2018
Sources :
[i]Forum Génération Egalité : https://forum.generationequality.org/fr
[ii] Global Gender Report 2021WEF : https://www.weforum.org/reports/global-gender-gap-report-2021
[iii] Diplomatie Féministe https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplo...
[iv] Oxfam - plan de relance féministe : https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/a-la-veille-du-forum-g...
[v] Collectif Générations Féministes -https://generationsfeministes.org/wp-content/uploads/2021/06/Note-de-positionnement-DSSR-Collectif-Générations-Féministes.pdf