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Opinion
Le monde a toujours prêté une attention particulière aux élections en Allemagne, statut de géant économique européen de ce pays, oblige. Mais les cycles électoraux des 16 dernières années ont réservé peu de surprises, tant la domination d'Angela Merkel semblait indestructible. Maintenant, ceci a changé, car le Parti social-démocrate (SPD) a remporté les élections fédérales du 26 septembre, avec 25,7% des suffrages, contre 24,1% pour son rival, l'Union chrétienne-démocrate (CDU), ouvrant ainsi l'ère post-Merkel, avec la pire défaite d'après-guerre pour le parti conservateur. Les Sociaux-démocrates ont infligé des défaites symboliques aux Conservateurs. Le ministre de l’Economie, Peter Altmaier (CDU) a été battu dans sa circonscription, Saarlouis, par le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD). La ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU), a été battue, à Sarrebruck, par la candidate du SPD, Josephine Ortleb, et le CDU a même perdu la circonscription que tenait Merkel depuis 1990, remportée par Anna Kassautzki, 27 ans, du SPD.
Les partis extrêmes ont également vu leur score baisser[1]. L’extrême gauche, Die Linke, n’a collecté que 4,9 % des voix, contre 8,9 % en 2017. Le parti d’extrême droite, Alternative für Deutschland (AfD), a récolté 10,3 % des suffrages, en chute comparé au score de 12,6 %, en 2017, tout en s’affirmant comme la force régionale en Allemagne de l'Est au détriment du CDU[2].
Mais, les résultats des élections n'excluent pas la fin du règne des Conservateurs. Vient maintenant la phase difficile. Le SPD et la CDU sont engagés dans un bras de fer pour former une coalition. Il s'agira, cependant, d'une coalition tripartite et non bipartite. Une première au niveau fédéral. Tout dépend désormais des faiseurs de rois, le parti vert (Bündnis 90/Die Grünen ou Greens) et du parti démocrate- libéral (Freie Demokratische Partei ou FDP).
Un dilemme de coalition
La scène est maintenant prête pour des négociations compliquées, où les partis politiques devront tout d’abord trouver un consensus dans leurs propres rangs afin de trouver un terrain d’entente concernant la composition et le programme de la coalition. En tant que vainqueurs des élections, les Sociaux-démocrates ont l’avantage de former une coalition sociale-écologique-libérale avec les Verts et les Libéraux. Cette coalition aura sans doute la plus grande majorité au parlement. Cependant, les Sociaux-démocrates et les Verts sont très éloignés des Libéraux sur des questions essentielles, notamment l'augmentation des impôts et le recours à la dette, que les deux partis du centre-gauche jugent nécessaires pour financer les politiques publiques de lutte contre le changement climatique et les programmes sociaux[3]. Des mesures auxquelles les Libéraux sont absolument opposés. Par conséquent, les questions budgétaires feront partie intégrante des négociations, mais aussi comment seront répartis les postes ministériels, particulièrement les portefeuilles des Finances et des Affaires étrangères.
Les Libéraux peuvent ainsi rejoindre une coalition avec la CDU, puisqu’ils partagent des positions similaires sur les politiques économiques. Cela donne l'espoir aux Conservateurs de former une coalition à laquelle les Verts pourraient être persuadés de se joindre. Ces derniers ont mené une campagne centriste, pragmatique afin de participer au gouvernement et de persuader les Allemands lors des prochaines élections fédérales, qu'ils sont capables de diriger le pays.
Finalement, les partis dominants de cette élection (SPD, CDU, Greens et FDP) ont montré peu de différences idéologiques, ce qui prédit que seuls des changements politiques mineurs et non radicaux seront mis en œuvre.
À quoi s'attendre en termes de politiques ?
Que le prochain Chancelier soit du SPD ou de la CDU, il ne faut pas s'attendre à ce qu'il exerce un rôle influent dans les politiques du pays. Dans le système politique allemand, les décisions du Chancelier sont prises dans le cadre d’un consensus avec les groupes des partis de la coalition, qui, à leur tour, sont influencés par leurs propres partis ainsi que par la pression des groupes externes, comme les ONG, les associations, les entreprises… etc Comme l’Allemagne semble se diriger vers une coalition tripartite, l’influence du Chancelier sera encore plus diluée.
Néanmoins, cela ne nous empêchera pas d’avancer quelques premières réflexions sur les changements politiques concrets que le futur gouvernement allemand pourrait adopter.
- Politique étrangère et défense : Ce thème a été relégué au second plan durant la campagne électorale. Mais les élections ont eu lieu après le retrait de l’OTAN d’Afghanistan et de l’affaire AUKUS. Deux évènements qui ont amené les Européens à s'interroger sur l'étendue de leur vulnérabilité. Une nouvelle poussée française pour l'autonomie stratégique conduira certainement l’Allemagne à sortir de sa zone de confort et à soutenir, du moins publiquement, des initiatives pour une Union européenne de sécurité et de défense. Les Sociaux-démocrates plaident pour une armée européenne et sont d'accord avec les Conservateurs pour que l'Europe devienne une union dotée d’instruments hard power pour assurer sa propre défense. L'OTAN restant bien entendu le socle de leur défense. Les Verts, eux, ne sont pas aussi enthousiastes sur ce sujet et rejettent l'augmentation des dépenses de défense, rendant ainsi la question de la défense européenne compliquée à traiter en Allemagne. Mais les partis dominants s'accordent sur la nécessité d’adopter la majorité qualifiée pour les décisions de politique étrangère au Conseil européen.
- Élargissement de l'UE : Le prochain gouvernement encouragera la réouverture du dossier de l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans occidentaux et cherchera à accélérer l'adhésion des États candidats que sont l'Albanie, la Serbie, la Macédoine du Nord et le Monténégro. Mais cela dépendra, en grande partie, de la volonté de la France d'inclure ces pays dans le bloc, puisqu’en octobre 2019, le président français, Emmanuel Macron, a bloqué l'ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord et l'Albanie pour une éventuelle adhésion à l'UE. La France étant entièrement concentrée sur sa présidence de l'UE ainsi que l’élection présidentielle en 2022, l'élargissement de l'UE aux Balkans occidentaux n’aura pas lieu de sitôt.
- Changement climatique : L'un des enjeux les plus pressants pour le prochain gouvernement est la transition verte. L'Allemagne s'est toujours affichée en tant que leader mondial du climat, mais ses politiques ont été perçues trop faibles par une grande partie des citoyens allemands ainsi que la Cour constitutionnelle fédérale allemande, qui a jugé, en mars 2021, que les mesures de protection climatique du gouvernement étaient insuffisantes. Cela va certainement changer avec les Verts dans le prochain gouvernement, qui proposeront des mesures concrètes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et décarboniser l'économie ce qui, à son tour, rendra l'ambitieux Green Deal de l'UE plus cohérent.
- Politique économique : Les questions financières et économiques connaîtront certains changements, dans le souci de dépasser l'orthodoxie budgétaire qui était si importante pour les Conservateurs. En tant que ministre des Finances, le candidat des Sociaux-démocrates, Olaf Scholz, a supervisé le plan de relance de l'UE après la pandémie de la Covid-19 et a appelé les États membres à se diriger vers une union fiscale. Mais une coalition avec le FDP signifie inévitablement que l’Allemagne restera un État ‘’frugal’’.
- Numérisation : Cela peut sembler un paradoxe, mais la première économie européenne a un sérieux déficit dans la sphère numérique. Le prochain gouvernement adoptera une série de mesures pour la numérisation (digitalisierung) de l'administration publique et encouragera l'innovation numérique des entreprises privées afin de garder intact l'avantage de son économie en Europe. Dans leurs campagnes électorales respectives, les Verts et les Libéraux ont beaucoup insisté sur cet enjeu et les deux partis semblent déterminés à orchestrer les politiques de Berlin dans le numérique.
Les élections fédérales allemandes du 26 septembre sont historiques. L'ère Merkel sera franchie après une élection qui a donné un parlement particulièrement fragmenté. Les pourparlers de coalition devraient prendre quelques semaines, voire des mois, mais il ne faut pas s'attendre à un changement radical dans les politiques du pays. La Bundesrepublik n’apprécie pas les transformations brusques. Mais l'avenir de cette nouvelle Allemagne dépendra largement de sa capacité à gérer les défis des transitions technologiques et climatiques et, surtout, de positionner l’UE comme puissance dans un contexte de bascule stratégique à l’échelle mondiale.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur.
[1] So hat Deutschland gewählt – aktuelle Ergebnisse. Bundestagswahl 2021. Spiegel.
[2] Schultheis, E. Germany’s far-right AfD loses nationally, but wins in the East. September 28, 2021. Politico
[3] Infographie. 1/ Politique intérieure de l'Allemagne. Institut français de relations internationales. Disponible sur le lien : https://www.ifri.org/fr/espace-media/dossiers-dactualite/dossier-dactualite-elections-allemandes-2021