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Opinion
Lors de la douzième rencontre du groupe de la stratégie méditerranéenne tenue à Turin en Décembre, l’échange entre les cultures a été évoqué comme levier de développement de la dimension humaine dans les questions méditerranéennes. Plusieurs intervenants ont présenté cet échange comme une formule permettant de mieux connaitre l’autre et par conséquent de vaincre cette peur de celui que nous ne connaissons pas ou que nous connaissons peu.
Il y a certes un problème de perception entre les parties prenantes en Méditerranée, notamment entre la rive Nord d’une part et celles Sud et Orientale d’autre part. Pour le Nord, le Sud est perçu comme une source de menaces (migrations, terrorisme, drogue). Parallèlement, le Sud perçoit le Nord comme hégémoniste, ancien colon et actuel usurpateur et pilleur de richesses.
L’affirmation de l’obligation de se connaitre par l’échange de culture afin de surpasser cette crise de perception est certes indiscutable. Cependant n’est- il pas légitime de se demander s’il n’est pas insuffisant de se limiter à confirmer l’importance de cet échange sans se poser de questions sur les parties appelées à échanger et sur la nature de l’échange.
Qui doit dialoguer et échanger pour se connaitre ?
Au niveau de la Méditerranée deux mondes sont identifiés :
- Le premier se superpose à quelques exceptions près avec l’Union Européenne.
- L’autre représente ce qu’il est convenu d’appeler la région MENA, englobant le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Cependant aucun de ces deux mondes ne semble présenter un ensemble homogène. Des fissures existent au sein même de chaque bloc de telle sorte qu’un dialogue interne semble préalable à toute tentative de dialogue entre les deux entités.
En Europe la religion avait été, selon un long processus, mise en dehors du champ politique - du moins en apparence-. Il reste cependant qu’elle ne l’a pas été au même degré dans tous les pays. Les cultures sont restées plus ou moins marquées par le judéo-christianisme quoique à des degrés différents.
Le niveau économique marque également la couleur de la culture. A ce niveau le Sud européen -moins développé- se démarque de la culture du Nord qui a reçu l’empreinte du développement économique et technologique. Les nouveaux venus dans l’enceinte de l’Union Européenne, portent encore les marques de plus d’un demi-siècle de culture soviétique, qu’ils essayent d’enrayer par un retour à l’orthodoxie catholique ou le nationalisme exacerbé.
Quant à l’autre interlocuteur, celui des rives sud et oriental de la Méditerranée, il s’adosse dans sa majeure partie à ce qui peut être qualifié de culture arabo-islamique. Ces pays présentent à leur tour des divergences, surtout confessionnelles, qui génèrent une situation quasi conflictuelle entre d’une part, chiites et sunnites et d’autre part, à l’intérieur du monde sunnite, entre wahhabites, malikites et doctrine empreinte de la pensée des frères musulmans. L’histoire souligne également des divergences de civilisation entre parties impactées par les empires perses, arabes et ottomans.
Des dialogues préalables semblent donc s’imposer au sein de chacun des deux acteurs potentiels, avant qu’ils ne puissent entamer un dialogue entre eux.
Illustration dans la crise actuelle.
La crise syrienne illustre les disparités et divergences que connait aussi bien l’ensemble européen que celui musulman (arabo-perso-turque). Si les européens semblent converger vers l’idée de lutte contre le terrorisme de l’organisation Etat Islamique, ils restent sur des appréhensions différentes de la menace qu’il représente. Pour certains des pays européens, le phénomène ne dérange que par la vague de migrations qu’il génère, alors que pour d’autre, il menace les sources de production des matières énergétiques. Au même moment, certains Etats d’Europe y voient une menace à la sécurité de leurs territoires et de leurs populations.
De l’autre côté de la Méditerranée, des Etats soutiennent le régime syrien, d’autres soutiennent une partie de l’opposition, elle-même opposée à d’autres factions opposantes, soutenues par d’autres Etats de la région. Les factions armées qui se proclament pour la lutte en vue de l’établissement du Califat ont des référentiels différents. Certains se réfèrent au califat ottoman et trouvent le soutien turc, alors que d’autres se réfèrent au Califat abbasside et rencontrent, même de manière voilée, la sympathie de certains Etats arabes. Le Hizbollah, lui-même partie prenante dans le conflit, lutte pour la prédominance de l’autorité confessionnelle chiite et se présente comme un proxy iranien. La situation est telle que les conférences internationales n’arrivent pas à déterminer qui ou quoi peut-on qualifier comme terroriste, comme extrémiste ou comme modéré.
Sur quelle base les parties peuvent-elles dialoguer ?
Un point de divergence semble surgir comme ligne de démarcation entre Européens et Arabo-perso-turcs; la laïcité/religiosité. Pour les premiers les Etats sont laïcs, quoique relativement. Pour les seconds l’Islam est à la base de tout système politique. Comment alors entamer un dialogue de sourds ? Un dialogue entre le temporel qui privilégie la discussion et l’autre tenu par des dogmes plus rigides, où les concessions sont limitées et encadrées.
Les tentatives de certains acteurs de la société civile de rassembler au sein d’organisations, de clubs ou de forums et manifestations diverses des personnes des deux bords, semblent être utilisées comme preuve d’une compréhension possible. Cependant cette compréhension trouve ses limites dès lors qu’il s’agit de la place de la religion dans la vie des Etats. Le jeune musulman vivant en Europe comprendra mal l’éviction de la religion de la vie officiel de l’Etat, tout comme le jeune européen trouvera aberrant l’intervention abusive de celle-ci dans le politique et dans la gouvernance. La seule concession possible entre les deux est que chacun puisse vivre chez lui comme son Etat l’entend. La grande question reste comment chacun peut-il, dans le cadre de l’échange, vivre confortablement avec l’autre ? Le monde actuel ne permettant pas le confinement de chacun à l’intérieur de ses frontières.
Pour être optimiste
Les deux parties doivent, après un échange interne au sein de chacune des entités, trouver non pas ce qui les rapproche, mais ce qui les menace et en faire l’ennemi commun. La violence doit être désignée comme cible à combattre par tous.
Le deuxième élément, de rapprochement cette fois, doit être le respect dans l’équité. Un respect équitable visant la non-exploitation de l’un par l’autre et la non-imposition d’une quelconque doctrine de l’un, dans la vie de l’autre. C’est à ce prix qu’un échange culturel peut être entamé afin de comprendre l’autre et non pas de le dissoudre dans une culture unique uniforme ou hégémoniste.