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Opinion
Les théoriciens du Sud –mais aussi du Nord– participent de plus en plus aux débats mettant au centre les expériences du « Sud global » ainsi que le rôle de l’Afrique dans la nouvelle géo-économie mondiale. Le continent Africain subi encore des réflexions et théories qui ne prennent pas en considération les spécificités du développement et de l’émergence des sociétés africaines dans un contexte mondialisé contemporain. Dans cette optique, le colloque organisé par l’OCP Policy Center les jeudi 5 et vendredi 6 Octobre 2017 sur les perspectives politiques du futur de l’Afrique a permis d’aborder une série de thèmes portant sur la notion de l’Etat, sa structure et son rôle, la démocratie, la gouvernance, le rôle de la société civile, les frontières, l’intégration régionale et la sécurité. Tout cela, afin de contribuer à la redéfinition du discours narratif imposé sur les réalités Africaines.
Il est évident que l’Homme est au centre du développement. Le rapport 2017 sur les perspectives économiques en Afrique présente le développement humain comme un bien intrinsèque et un tremplin essentiel vers d’autres objectifs de croissance durable. Le développement humain est le principal indicateur de croissance et non plus un simple signe d’émancipation sociale. L’investissement dans le capital humain, à travers l’éducation et la construction de compétences, la santé, la sécurité alimentaire, la promotion de l’emploi pour les jeunes et le développement de l’entreprenariat reste une priorité afin de tirer les pleins profits du dividende démographique africain.
Les tensions ethnoculturelles rendent plusieurs états en Afrique structurellement vulnérables. Ces rivalités identitaires sont surtout alimentées par des problèmes socio-économiques sous-jacents qui résultent d’une instrumentalisation des quêtes de pouvoir, de richesse et des ressources. A cela, s’ajoutent les risques auxquels sont exposées des populations qui vivent dans des conditions très précaires. Les questions identitaires et l’ethnitisation des conflits ne sont pas des phénomènes nouveaux ou découlant du processus de décolonisation mais le diagnostic, souvent incomplet, avançant que la vulnérabilité chronique de certains pays africains est exclusivement de nature ethnique, ignore les origines systémiques et structurelles des points de divergence. Les tensions intra-étatiques révèlent des défauts fonctionnels des états qui peinent à répondre à leurs obligations régaliennes et à mettre en place des politiques inclusives qui tiennent compte de toutes les composantes de la nation et qui rénovent les relations entre population et état.
Ainsi, loin d’être un conflit purement ethnique, le cœur du problème dans la crise du nord du Mali par exemple, est avant tout, politique et institutionnel. La perception centralisée de la gestion du territoire fut à l’origine du mal-être des populations du nord mais aussi de la mauvaise gestion des tensions. En effet, malgré le lancement d’un processus de décentralisation, la gestion des affaires publiques et financières au Mali est restée largement centralisée. La société civile du nord du Mali n’était pas impliquée de manière efficace dans la mise en œuvre des stratégies locales de développement et cette frustration s’est vite transformée en crise majeure dès lors que l’opportunité d’un vide sécuritaire s’est offerte. Aussi, loin d’être simplement motivée par une volonté ethnique insurrectionnelle, la crise anglophone au Cameroun nécessite des solutions urgentes pour impliquer toute la population dans un système de gouvernance démocratique. L’aménagement linguistique au Cameroun, principalement dans les secteurs de l’éducation et de la justice, exacerbe les revendications d’une partie de la population. Pour cela, il reste primordial de garantir le traitement égalitaire des deux langues principales parlées dans le pays et de faire de ce bilinguisme une richesse nationale positive.
Après plusieurs décennies d'une gestion étatique centralisée et tentaculaire, fondée sur des modèles d’état Jacobin ou Hobbesien et héritée du mode d’administration colonial, des limites structurelles n’ont pas tardé à se montrer. Plusieurs états Africains ont alors compris la nécessité de réformer les méthodes de gestion des affaires politiques et administratives. Ce processus de réforme devrait d’avantage refléter la place centrale de l’échelon local dans la mise en place de stratégies de développement durable. La décentralisation politique s’est donc révélée comme un mode de gouvernance crucial pour mieux répondre aux intérêts des divers groupes de la société. La jeunesse a également un rôle important dans ce processus à travers sa participation au niveau des collectivités locales. Ainsi, la concomitance des processus de décentralisation et de déconcentration administrative peut grandement favoriser l’efficacité de politiques inclusives dans un système politique pluraliste qui assure une démocratie participative aux citoyens et un développement local profitable et durable.
L’extrémisme violent a causé la mort de plus de 33,300 personnes en Afrique entre 2011 et début 2016. Autour du lac Tchad, la présence et les activités de Boko Haram ont forcé plus de 200,000 Nigérians à se réfugier au Cameroun, au Tchad ou au Niger et ont conduit au déplacement de plus de 1.2 millions de personnes en interne. Le ‘nouveau terrorisme’, profitant des nouvelles technologies, connaît un changement radical et des mutations rapides tant dans sa nature, sa méthodologie, son mode de recrutement et d’endoctrinement, que dans sa mobilité. Il est donc difficile d’y répondre sans institutions démocratiques et sans établir une coordination pratique entre les différentes initiatives mises en place afin de trouver des solutions pragmatiques et réalistes pour renforcer la résilience dans des zones vulnérables et surpeuplées. Cumuler la force n’est pas un principe qui fonctionne. Les initiatives internationales multiples impliquant plus de militarisme et moins de soft power restent mal coordonnées. Les solutions proposées sont souvent ad-hoc et sous financées par les acteurs continentaux, il en résulte des réponses dysfonctionnelles et non-adaptées à la réalité des crises.
De plus, la légitimité des missions de gestion et de résolution de conflits en Afrique est souvent remise en question en raison du financement et de l’engagement externe. Ce manque de légitimité aggrave souvent la situation et nourrit de nouvelles tensions. Pour cela, le principe de subsidiarité doit cadrer toutes les initiatives de gestion de crises et de conflits. Il faut donc assurer la capacité de déployer les moyens appropriés et impliquer les partenaires responsables et fiables tout en veillant sur l’interopérabilité entre les différentes initiatives en cours. Les communautés économiques régionales offrent un cadre institutionnel efficace et prouvé dans la gestion de crises continentales. La nomination de la CEDEAO au prix Nobel de la paix ne fait que confirmer cette idée. Certes, malgré leurs moyens de financement limités, les organisations régionales dans le continent jouent un rôle déterminant dans l’élaboration d’approches unifiées pour la prévention et la gestion de conflits.
Sans ignorer les risques qui lui sont liés, l’intégration régionale offre un cadre de coopération stable pour garantir la sécurité humaine des populations et encourager le développement durable économique mais surtout social. Le pari du développement en Afrique repose sur la volonté et la capacité des Etats à construire des démocraties solides, basées sur des institutions modernes dans leur fonctionnement et dans leur structure et favorisant l’implication de la société civile dans le processus de réforme et de gouvernance.