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Opinion
Les quatre acteurs majeurs de la crise libyenne ont approuvé, le 29 mai 2018, lors du Sommet organisé par le Président français Emmanuel Macron au Palais de l’Elysée à Paris, une “Déclaration politique sur la Libye” qui prévoit l’organisation le 10 décembre prochain d’un double scrutin, législatif et présidentiel. Ce texte “historique”, selon le Chef de l’Etat français, reste cependant menacé par la complexité de la réalité sur le terrain libyen.
On ne compte plus les initiatives visant à sortir la Libye du chaos dans lequel le pays est plongé depuis la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi, en 2011. Aucune, à ce jour, n’y est parvenue. Fragmenté par les ambitions contraires d’une multitude d’acteurs politiques qui se disputent le contrôle de ce qu’ils peuvent comme portion de ce territoire riche en hydrocarbures, et grand comme trois fois la France, le pays est aujourd’hui un ardent brasier pour ses habitants et un immense foyer de déstabilisation pour l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Sahel.
En réunissant, sous les auspices des Nations-Unies et en présence de représentants de vingt pays et six Organisations internationales, quatre des principaux protagonistes de la crise libyenne, le président français a- t-il trouvé le bon chemin pour aider les Libyens à faire la paix?
En obtenant un engagement solennel pour la tenue des élections le 10 décembre, le Chef de l’Etat français a sans doute arraché une concession importante à ses hôtes qui, d’ailleurs, se retrouvent pour la première fois autour d’une même table, tant il est urgent de doter la Libye d’institutions étatiques et politiques légitimes pour amorcer une sortie de crise dans ce pays meurtri par sept longues années d’affrontements. Mais il n’est pas sûr pour autant que « ce joli coup diplomatique” de l’Elysée soit suffisant pour un retour rapide de la paix en Libye.
Le texte de Paris n’est pas un accord, à proprement parler. Intitulé “Déclaration politique sur la Libye”, le document n’a donné lieu à aucun paraphe ni à aucune signature, mais seulement à une approbation verbale que le Président français, suivi du représentant Spécial du Secrétaire général des Nations-Unies, Ghassan Salamé, s’est pourtant empressé de qualifier d’étape “clé’’ et d’“historique” pour la réconciliation en Libye.
S’ils sont incontestablement des acteurs de poids dans la Libye actuelle, le chef du « Gouvernement d’accord national » (GNA Fayez Al-Sarraj, le patron de l’Armée nationale libyenne (ANL) le maréchal Khalifa Haftar, le président de la Chambre des représentants (exilée à Tobrouk) Aguila Salah Issa, et le président du Conseil d’Etat (organe consultatif issu de l’accord inter-libyen signé à Skhirat, au Maroc, en décembre 2015 et basé à Tripoli), Khaled Al-Mishri, ne sont pas les seuls protagonistes de la crise libyenne. Sans parler des groupes armés jiahdistes qui pullulent un peu partout dans le pays, des tribus importantes, des ethnies, mais aussi des communautés restées fidèles à l’héritage politique du colonel disparu, qui ne reconnaissent guère la légitimité de quatuor reçu par Macron et que certains combattent d’ailleurs, armes à la main. En ignorant ces “forces locales”, que le médiateur onusien pour la Libye plaçait pourtant au coeur de son « Plan d’action » annoncé en septembre 2017 et qui visait à conditionner l’organisation d’élections à la tenue d’une « conférence nationale », le Sommet de l’Elysée a sans doute commis une première erreur qui pourrait être fatale aux résultats escomptés.
Le plan français a aussi étrangement fait l’impasse sur un autre point important: le cadre constitutionnel dans lequel les élections législatives et présidentielles devraient se dérouler. Le pays n’a pas de constitution valide, seulement une « Déclaration constitutionnelle » élaborée en août 2011 par les autorités intérimaires installées à Tripoli après la chute du colonel Kadhafi. Ce texte provisoire devait être remplacé par une nouvelle Loi fondamentale adoptée par un collège constitué de seulement 60 membres. Le texte n’a finalement pas pu voir le jour en raison de la guerre civile qui a éclaté à l’été 2014, mais aussi des exigences inconciliables de certains acteurs. Les forces basées en Cyrénaïque (à l’Est) réclament des structures fédérales, tandis que celles installées en Tripolitaine (à l’Ouest) exigent le maintien d’un État unitaire, pendant que des minorités ethniques, comme les Toubous et les Touaregs conditionnent leur participation à tout processus de réconciliation nationale par la reconnaissance officielle de leur identité culturelle.
Une nouvelle tentative de doter le pays d’une Loi fondamentale a eu lieu en juillet 2017. Le texte a même été adopté. Mais il a finalement a été rejeté par une grande partie de la Chambre des représentants, qui estime que les conditions d’éligibilité prévues en matière de double nationalité, de durée de résidence dans le pays et de fonction occupée dans l’armée, sont une manoeuvre destinée à éliminer de la course à la tête de l’Etat celui qui fait figure de leur “candidat naturel”, le maréchal Khalifa Haftar.
En évoquant timidement un engagement à adopter “une base constitutionnelle” pour les futures élections « d’ici le 16 septembre », la Déclaration de Paris n’a pas tranché le problème. Qu’elle fasse référence à une nouvelle constitution à adopter par référendum ou à un simple amendement à la «Déclaration constitutionnelle » actuellement en vigueur, elle prend ainsi le risque de laisser la porte grande ouverte à de nouvelles querelles susceptibles de creuser davantage les différends entre Libyens.
La Déclaration de Paris est aussi menacée par la dure réalité du terrain sécuritaire et militaire en Libye. Dans les trois grandes régions du pays, la situation est extrêmement tendue, fragile et volatile. Dans le Grand Sud, les affrontements sont quasi-quotidiens entre l’ethnie africaine des Toubous et les Arabes Ouled Slimane, si ce n’est entre une de ces communautés et des groupes voisins Touaregs, avec qui elles partagent la région. A l’Ouest, en Tripolitaine, le « Gouvernement d’accord national » (GAN) de Fayez Al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale, est tributaire de ses rapports avec les différentes milices qui le soutiennent dont certaines nourrissent une très grande méfiance à l’égard d’un rapprochement éventuel avec le maréchal Khalifa Haftar, qu’elles soupçonnent de nourrir des ambitions “prétoriennes” sur le modèle de son mentor régional, l’Egyptien Abdel Fattah Al Sissi. A l’Est, dans la Cyrénaïque, en dépit des succès indéniables enregistrés pour imposer un semblant d’ordre dans la ville et les régions qu’ils contrôlent face aux divers groupes armés, notamment jihadistes, les soldats de l’armée nationale libyenne (ANL) de Haftar sont soupçonnés de graves exactions contre les populations, au point que les Nations-Unies évoquent un « impact dévastateur sur les civils ».
Réussir, dans un tel contexte, à organiser des “élections dignes de foi et pacifiques, et respecter les résultats des élections lorsqu’elles auront lieu”, comme le souhaite Emmanuel Macron, serait presque un miracle.