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Opinion
S’adressant à l’Occident en 1989, Alexandre Arbatov, conseiller diplomatique de Mikhaïl Gorbatchev avait dit : "nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d'ennemi ". Ce que le russe n’avait pas prévu à ce moment, c’est que la disparition de l’Union Soviétique allait priver l’occident de bien plus que d’un ennemi : elle allait le priver de son identité.
Durant la guerre froide, il existait un camp de l’Est et un camp de l’Ouest. Cet antagonisme donnait à l’Occident une personnalité, une identité. L’Ouest se définissait par opposition au camp socialiste. Il constituait un monde qui se voulait être le « monde libre », qui avait une « enseigne ». Ce monde libre avait un leader, les USA, et un ensemble que formait l’Europe et les autres Etats qui partageaient les mêmes valeurs de démocratie, de liberté et de droit. Un monde aux traits connus et au portrait clair. L’URSS s’est éteinte et l’ensemble qui se définissait par opposition au soviétisme s’est trouvé dépourvu de cet « opposé » qui lui donnait son image.
A la chute du mur de Berlin, ce qui s’appelait alors l’Occident s’est retrouvé sans ennemi et sans concurrent, mais aussi sans cette « noirceur » de l’autre qui faisait ressortir sa propre blancheur et lui permettait de se définir et de se faire connaître. L’Est, après 1989, n’était plus qu’un point cardinal et l’Ouest ne pouvait plus être qu’un autre point cardinal. Il était l’opposé de l’Est, mais simplement dans une acception géographique. Il n’y avait plus de socialisme et le capitalisme a alors perdu son sens ; il n’y avait plus non plus de pacte de Varsovie et l’OTAN a perdu le Nord et ne savait plus quoi faire de lui-même. La guerre (froide) avait cessé faute de combattant, mais l’identité de l’Ouest s’était effacée faute d’identifiant. Si l’évènement ne représentait pas la fin de l’Histoire comme le prévoyait Fukuyama, il marquait cependant bien la fin d’un concept et d’une identité qui s’appelait l’Occident.
Le bloc que nous connaissions comme étant l’Ouest avant 1989 s’étant disloqué, que serait donc l’Occident aujourd’hui ? Les USA, avec un président qui se départit de toute doctrine ou idéologie pour se recroqueviller sur les propres intérêts mercantiles de son pays ? Une Europe qui réalise de plus en plus qu’elle devient orpheline après l’extinction de cette famille qui lui fournissait le parapluie défense et lui permettait de se consacrer à l’essor économique ? Le Royaume-Uni qui s’est séparé de l’Europe sans savoir vers quels horizons regarder ? Si nous voulons persister à croire qu’il existe encore un Ouest autre que géographique, laquelle des trois entités choisirions-nous ? Les USA avec le repli stratégique de Trump ? L’Europe qui a intégré ses voisins de l’Est sans savoir quoi en faire ? Le Royaume-Uni qui s’isole dans son caractère insulaire ? L’Occident classique s’est fragmenté en trois espaces qui ont perdu le lien de solidarité qui les cimentait face à l’Est. N’ayant plus d’ennemi commun, ceux qui jadis s’appelaient les occidentaux, ont aujourd’hui pour nom, les américains, les européens, les anglais… et sont face à la Russie, la Chine, l’Iran, la Corée du Nord… qui eux aussi ne sont qu’un Est géographique.
Lors de son intervention au Brussels Forum 2018, dont l’OCP Policy Center est partenaire, Federica Mogherini, s’adressant aux USA, a appelé à cette identité commune, une identité s’appuyant sur un socle de valeurs communes. Mais des questions restent posées. Une identité commune entre l’Europe et les USA ou entre l’Union européenne et les USA ? Dans le deuxième cas, que faire du Royaume-Uni ?
La solidarité automatique qui, avant 1989, donnait à l’Ouest une identité, s’est aujourd’hui effacée devant un individualisme étatique et de petites identités, que rien ne semble lier sinon des coalitions de conjoncture dont les murs se fissurent au moindre coup de brise. Les USA ne sont plus solidaires de l’Europe et cette dernière, lâchée par sa grande sœur, cherche à se faire par elle-même. Comme un malheur n’arrive jamais seul, elle vient de perdre le Royaume-Uni. L’ex Occident n’existe plus que dans les livres d’histoires. Le label Occident est aujourd’hui diffus, éparpillé et flou. Que faut-il faire pour le réanimer ? Un troisième conflit mondial ? Un nouvel ennemi de la taille de l’ex URSS ? Ou faut-il désormais l’oublier comme un objet du passé ? Dans ce cas, force est de croire que le mur de Berlin n’a pas seulement mis fin au clan de l’Est, mais également à celui de l’Ouest. En s’effaçant l’URSS a également effacé toute idée d’Occident.