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Le post-conflit vu par l’African Peace and Security Annual Conference (APSACO)
July 30, 2023

La réflexion sur le post-conflit a été stimulée ces dernières années par les efforts africains visant à offrir au continent un cadre politique propre à la période post-conflit ou post-crise (transition politique) dans la continuité de l'Architecture de paix et de sécurité de l'Union africaine (APSA) et dans le sillage de l'Architecture de gouvernance africaine (AGA). Ce souci pour une paix durable sur le continent est à l’origine de l’adoption à Banjul (Gambie) en 2006 du « Cadre politique de l'Union africaine sur la Reconstruction et le développement post-conflit (RDPC) et de la mise en place de l’Initiative de solidarité africaine (ASI), en juillet 2012, pour coordonner les contributions financières continentales au programme.

Le workshop de révision de la RDPC, organisé par la Commission Paix et sécurité de l’UA (CPS) à Accra, Ghana, en septembre 2022, propose une lecture plus adaptée aux nouveaux défis qui ne se limitent pas à la mutation des crises, mais aussi aux questions de financement, aux nouvelles formes de partenariat que cela doit impliquer, aux rôles réels des acteurs africains dans la création des conditions nécessaires au déploiement de la RDPC. Et, enfin, le problème de l’appropriation des réponses apportées par les États en situation de post-conflit.

La septième édition de l’African Peace and Security Annual Conference (APSACO) vise à approfondir la connaissance comparative sur les défis et les catalyseurs de la mise en œuvre en Afrique du peacebuilding en général. Cet article est une sorte de mise en situation de la conférence qui rappelle le contexte africain du post-conflit (I), les défis à relever pour la reconstruction et le développement (II) et nous invite également à saisir les éléments nécessaires pour prévenir la résurgence de conflits (III).

I. LE CONTEXTE AFRICAIN DU POST-CONFLIT

La septième édition d’APSACO sur le post-conflit et la reconstruction intervient dans un contexte africain marqué par trois réalités majeures :

  • L’absence d’un véritable modèle africain autonome de sécurité collective, un modèle qui devrait éviter toute forme de mimétisme ou d’alignement sur les conditions des pourvoyeurs internationaux. Un modèle africain pour les Africains, enraciné dans les réalités africaines et dans la conjoncture mondiale. Les nouvelles dimensions de la géopolitique des crises et des conflits exigent une attention particulière des décideurs africains et rendent nécessaire l’adoption d’un nouveau consensus stratégique. Ce processus de reconstruction est complexe car la mutualisation des actions à différentes échelles (Étatique, l’UA et les Organisations sous-régionales) est un exercice de négociation politique long et tendu1 ;

  • Le bilan mitigé du peacebuilding en Afrique. L’Afrique s’est dotée de mécanisme et des éléments de langage autour d’un certain nombre de concepts mobilisateurs : APSA, l’Agenda 2063, l’initiative « Faire taire les armes, l’ASI et le cadre politique de l’Union africaine sur la RDPC. Pourtant, le bilan reste mitigé, l’Afrique demeure un continuum de crises et de conflits plus ardus. Le problème est en fait structurel à cause d’un flagrant décalage entre les objectifs arrêtés, la volonté politique, les moyens et les modalités prévus pour les atteindre : le défi à relever aujourd’hui est celui de l’implémentation de ces instruments, notamment de la RDPC ;

  • La réalité du peacebuilding en Afrique invite la communauté du savoir africaine à une meilleure mutualisation des capacités de connaissance et d’anticipation des enjeux sécuritaires du post-conflit. Le devoir de ces communautés du savoir nous semble-t-il est de faire sortir les mécanismes continentaux de leur confort institutionnel, symbolique pour les mettre à l’épreuve des réalités africaines marquées par un certain nombre de paradoxes. Au Policy Center For New South (PCNS), par exemple, le peacebuilding et le peacekeeping constituent un axe de réflexion fondamental : en plus des publications et des conférences, le PCNS est un acteur actif sur la scène africaine, dès lors qu’il a participé avec un groupe restreint à la révision du Cadre politique de l’UA sur la RDPC, discuté à Accra en septembre 2022 et validé au Caire, en mai 2023 avant son adoption par la conférence des chefs d’État de l’UA, en février 2024.

 

II. LES DÉFIS DE LA RECONSTRUCTION POST- CONFLIT

Les effets de toute réforme du peacebuilding en Afrique dépendront, cependant, en grande partie de sa mise en œuvre. Les dynamiques en cours dans certains pays en situation de post- conflit manquent essentiellement de volonté politique africaine et internationale. Elles ont besoin de leadership et de capacités remarquables à mobiliser les parties prenantes nationales, régionales et multilatérales pour l’avancement de solutions globales aux enjeux sécuritaires, politiques et socio-économiques de la reconstruction post-conflit.

Les grandes lignes de la conférence devraient apporter un regard innovant et prospectif sur le post-conflit et la reconstruction, à partir de l’analyse de quatre aspects :

  • Comment améliorer le concept africain de la sécurité collective à partir des situations post-conflit en cours sur le continent ? L’expérience de l’UA invite à saisir l’émergence d’une culture africaine du peacebuilding forte par la spécificité du contexte géopolitique continental. Nous assistons depuis l’adoption de l’APSA à la mise en forme d’un discours et d’un comportement africains à l’égard du post-conflit. Aussi, la communauté du savoir africaine (think tank, centres de recherche, universités) a-t-elle besoin de renforcer et de mutualiser ses capacités de connaissance et d’anticipation des enjeux sécuritaires du post-conflit. À ce titre, quels outils de réflexion stratégique pour conseiller les politiques de l’UA de sécurité et pour améliorer les capacités d’implémentation de la RDPC par exemple?

  • Quel modèle de réconciliation politique, d’efficience sécuritaire et d’inclusion des femmes et des jeunes ? L’approche préventive doit continuer à structurer les processus de stabilisation et de consolidation de la sécurité de manière à ce que les dispositions proposées soient aptes à établir la confiance et à prévenir l’escalade des conflits. Plusieurs pistes sont explorées et méritent d’être développées davantage : réconciliation et reconstruction politique, l’implication des femmes, des jeunes et de la société civile en général, la transparence dans la gouvernance sécuritaire et la solidarité régionale pour une meilleure mutualisation des efforts au niveau des Communautés économiques régionales (CERs) ;

  • Comment stimuler les mécanismes de financement classiques et alternatifs au profit des programmes de reconstruction post conflit ? De l’analyse du financement africain du post-conflit ressort trois éléments importants : l’incapacité financière de l’Initiative Africaine de Solidarité, la révision à la baisse des fonds alloués à l’Afrique par les partenaires européens, qui réorientent leurs efforts vers l’Ukraine, et l’absence du secteur privé. Comment l’Afrique devra-t-elle donc s’entraider davantage ? Le renouvellement du Pacte Continental solidaire en Afrique est-il essentiel à cet objectif ? Qu’en est-il de la coordination entre États, des CERs, du secteur privé dans la mise en œuvre du projet ASI ? Comment faire de l’économie sociale et solidaire un levier de la lutte contre la pauvreté, et donc un pilier de la réintégration des populations ? L’accélération de la mise en œuvre de la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf) pourrait-elle contribuer à améliorer les conditions économiques de la reconstruction des pays post-conflit ?

  • Quelles pistes pour une meilleure synergie entre la Commission de la Consolidation de la Paix de l’ONU et l’Union africaine sur les questions de reconstruction post-conflit ? Quelles perspectives pour les différents partenariats internationaux de l’UA ? Il s’agira ici de débattre du partenariat entre l’UA et ses principaux partenaires internationaux institutionnels et étatiques afin de les aligner sur l’approche holistique adoptée par l’Organisation africaine, et mettre en place des approches prévisibles pour l’UA : Quelles pistes pour une meilleure synergie entre la Commission de la Consolidation de la Paix de l’ONU et l’Union africaine sur les questions de reconstruction post-conflit ? Quelles perspectives pour les différends partenariats internationaux de l’UA ? Comment améliorer la contribution des programmes internationaux au processus de construction du système de sécurité des pays concernés ?

 

III. ÉLÉMENTS POUR PRÉVENIR LA RÉSURGENCE DE CONFLITS

La lecture du pilier sécurité de la RDPC (2006) ainsi que l’ISA de l’UA révèle trois problématiques majeures. Les menaces et risques asymétriques (terrorisme et le grand banditisme) qui sévissent dans de nombreuses régions n’ont pas été suffisamment pris en compte. En effet, les documents sont essentiellement orientés vers les conflits internes conventionnels opposant deux entités (groupes politiques, religieux, ethniques, etc..) dont les revendications sont exprimées via des personnes représentatives (fréquentables).

Or, c’est loin d’être le cas du terrorisme. Il est cependant difficile, voire impossible, d’avoir le consentement des deux parties pour un programme de paix et de sécurité. Pour la simple raison que toutes alternatives sont synonymes de la fin des activités criminelles.2 Ensuite, les questions de sécurité sont souvent encore séparées des aspects de paix et de gouvernance. L’on n’a pas encore pleinement pris en compte la façon dont le lien entre la paix, la sécurité et la gouvernance pourra se traduire en stratégies pratiques. Il faudrait envisager, à l’avenir, le moyen de les joindre tant au niveau conceptuel que sur le plan pratique.

Enfin, les mécanismes de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) et de la Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) ne sont pas clairement distingués dans le document actuel tout comme on peut signaler l’absence d’une approche plus globale les intégrant.

Le croisement de ce regard critique du pilier sécurité avec ses acquis, en corrigeant ses limites et en ajoutant certains nouveaux aspects, aboutit à une nouvelle approche intégrée et échelonnée autour de cinq points :

1. La paix durable comme objectif stratégique final recherché

Pour être capable d’agir efficacement, l’approche préventive doit structurer les processus de stabilisation et de consolidation de la sécurité de manière à ce que les dispositions proposées soient pragmatiques et réalisables. C’est-à-dire aptes à établir la confiance et à prévenir l’escalade des disputes. Comment faire face aux défis sécuritaires, à savoir désamorcer la violence existante et empêcher de nouveaux groupes de se lancer dans la mêlée durant la période de transition.

La consolidation de la paix durable passe par l’insertion des activités de réintégration à long terme dans des programmes de développement plus larges, en prenant en compte les besoins de réintégration des parties concernées ;

2. Créer un environnement de sécurité sûr comme objectif intermédiaire

L’objectif du pilier sécurité de la RDPC est de favoriser les conditions favorables pour une sécurité nationale sûre, à travers le renforcement des capacités institutionnelles et opérationnelles de l’État, afin de consolider son autorité, garantir la protection des individus et construire une culture de sécurité collective.

La politique en matière de sécurité doit tenir compte des dangers plausibles que présentent la mobilité des groupes armés, l’extrémisme violent, la criminalité organisée, la cybercriminalité, le terrorisme et les enjeux sanitaires et climatiques sur le processus de stabilisation. Elle incite à la participation de la société civile, des femmes et des jeunes au DDR et RSS et encourage l’adoption d’approches régionales communes pour faciliter l’élaboration de mesures et politiques appropriées en matière de sécurité ;

3. Des actions inclusives et effectives : DDR et RSS

Le volet sécurité dans le contexte de stabilisation et de redressement comprend l’application des mécanismes de DDR des groupes armés non étatiques, ainsi que la RSS de l’État. En tant que tels, DDR et RSS sont des processus qui se renforcent mutuellement, partageant l’objectif de promouvoir la reconstruction et la stabilisation d’un cadre sécuritaire légitime et fonctionnel, opérant sous un suivi et un contrôle civil responsable.

En effet, le DDR a un impact direct sur les perspectives de la RSS dès lors que le Désarmement et la Démobilisation ouvrent la voie à la future réforme en identifiant le nombre et la nature des actions à mener dans le domaine de la sécurité. Un plan de DDR réussi peut également offrir des ressources indispensables à la réussite de la RSS ;

4. Une gouvernance préventive de la sécurité

Il s’agit des interactions entre la politique et la gouvernance sécuritaire et couvre l’implémentation des normes pour rendre irréversibles la paix, la sécurité et le développement, à travers notamment la transparence dans la gouvernance sécuritaire ; la séparationdespouvoirs;laprotectiondesdroitsfondamentauxdetouslescitoyens; lelienArmée- Nation ; la coopération civilo-militaire. La gouvernance de la sécurité devrait disposer avant tout d’une planification stratégique objective et d’institutions bien organisées, dotées de moyens qui sont à la hauteur de leur mission. Le leadership national est nécessaire pour la coordination entre parties prenantes - locales, nationales, régionales et internationales - impliquées dans la situation post-conflit ;

5. Des principes directeurs des programmes de stabilisation

Au regard du contexte post-conflit deux principes, complémentaires à ceux déjà adoptés par la RDPC 2006, pourraient être utiles pour encadrer toute action dans la région :

« Ne pas nuire » :

C’est un principe développé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2011)3 et appliquer l’aide au développement. Transposer à la sécurité, celui-ci signifie que les interventions militaires et les programmes portant sur le renforcement des capacités institutionnelles ne doivent pas porter atteinte au processus de construction du système de sécurité des pays concernés. Les ressources allouées peuvent par inadvertance créer une situation de dépendance : par exemple le déploiement des ressources financières peut dissuader le pays receveur de compter sur ses propres revenus ;

La sécurité au quotidien :

L’objectif sécuritaire poursuivi par les dispositifs conçus pour l’assurer doit intégrer la sécurité quotidienne des populations de la région, largement ignorée par les États et les stratégies internationales.
 

CONCLUSION

La septième édition d’APSACO se veut un espace de dialogue et de rapprochement entre les différents chercheurs et praticiens africains et non africains. Il apparait dès lors que le présent et l’avenir de la sécurité collective n’a d’autre socle principal que la concrétisation d’un modèle africain autonome. Celui-ci est le gage d’une crédibilité interne et externe.

Il devra s’ancrer dans les réalités africaines, en évitant toute sorte de mimétisme ou d’attentisme. Les nouvelles donnes de la géopolitique des crises et des conflits doivent interpeller les décideurs africains pour accélérer la constitution d’un nouveau consensus stratégique. Mutualiser leurs actions à tous les niveaux (Étatique, l’UA et les Organisations sous-régionales) et les focaliser sur le nexus sécurité-développement socio-économique, est la clé de tout processus de reconstruction.

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