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Opinion
Les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) ne sont plus à la mode, compte tenu de leur très importante responsabilité dans le changement climatique. Les appels en vue de leur disparition (progressive) se multiplient mais ces combustibles représentent encore un peu plus de 80 % de la consommation mondiale d’énergie primaire (83 % en 2021, selon la BP Statistical Review of World Energy). Et de nombreux projets sont en cours de développement à travers le monde. En Afrique, le pétrole et le gaz naturel (les hydrocarbures) ont encore le vent en poupe en dépit de l’opposition farouche de divers acteurs, dont de grandes organisations non gouvernementales (ONG).
Les pays africains défendent leur souveraineté nationale
La position de nombreux dirigeants africains sur ce sujet est en gros la suivante : la souveraineté nationale, consacrée par le droit international, implique que chaque pays est libre d’exploiter ses ressources naturelles ; l’Afrique a un potentiel très significatif en matière de pétrole et de gaz ; les hydrocarbures peuvent contribuer au développement des pays africains ; l’Afrique n’est évidemment pas historiquement responsable du changement climatique ; et ce continent ne représente encore aujourd’hui que 4 % environ (chiffre pour 2021) des émissions mondiales de CO2 provenant de l’utilisation de combustibles fossiles.
Les Etats africains continuent donc à chercher à attirer des investissements étrangers dans le secteur des hydrocarbures, à encourager l’exploration sur leurs territoires (à terre ou en mer) et à approuver de nouveaux projets de développement qui entreront en production dans les prochaines années, et ce pour longtemps. A titre d’illustration, nous examinerons ici de nouveaux projets dans quatre pays d’Afrique subsaharienne, la Côte d’Ivoire, l’Angola, le Congo (République du Congo) et la République démocratique du Congo (RDC). Pour les trois premiers pays cités, il s’agit de développements pétroliers et gaziers. Pour la RDC, c’est l’exploration qui est en jeu.
En Côte d’Ivoire, le champ Baleine entrera en production dès le premier semestre 2023
Commençons ce bref tour d’horizon par la Côte d’Ivoire. Nous avons déjà évoqué dans le passé le champ pétrolier et gazier Baleine découvert par le groupe italien Eni en mer (offshore) en août 2021. Comme le nom Baleine le laisse penser, c’est une grosse découverte. Tout récemment, à la fin juillet 2022, Eni a annoncé deux nouvelles importantes. Suite à un deuxième forage d’exploration, l’estimation des ressources de Baleine a été révisée à la hausse et cette réévaluation est très significative (environ +25 %). Ces ressources sont à présent évaluées à 2,5 milliards de barils de pétrole et à plus de 90 milliards de mètres cubes de gaz. Bien qu’il ne faille pas confondre ressources et réserves, Baleine figure incontestablement parmi les gisements géants pour le pétrole, selon les classifications de l’industrie pétrolière. Deuxième bonne nouvelle pour Eni et pour la Côte d’Ivoire, la mise en production devrait intervenir dès le premier semestre 2023. Le partenaire d’Eni est Petroci Holding, la société pétrolière nationale de la Côte d’Ivoire.
Passons à l’Angola, le second producteur de pétrole en Afrique après le Nigeria. A la fin juillet, également, TotalEnergies a annoncé le lancement du développement d’un champ pétrolier, Begonia, et de deux champs gaziers, Quiluma et Maboqueiro (le groupe français a annoncé en même temps le développement d’un projet photovoltaïque en Angola). Begonia devrait entrer en production vers la fin 2024. Le développement des deux gisements gaziers s’inscrit dans un projet appelé Non Associated Gas 1 (NAG1), qui sera exploité par un consortium comprenant, outre TotalEnergies, Eni (opérateur), Chevron, BP et Sonangol P&P (qui fait partie du groupe pétrolier national Sonangol). La production devrait débuter à la mi-2026. Elle viendra alimenter le projet angolais d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), Angola LNG, qui est déjà en exploitation.
Au Congo, Eni développe les réserves gazières du permis offshore Marine XII en vue, notamment, d’un projet d’exportation de GNL. Celui-ci devrait démarrer en 2023 et sa production atteindra ultérieurement 3 millions de tonnes par an, soit plus de 4,5 milliards de mètres cubes/an. Eni a décidé d’accélérer le développement de ce projet GNL dans le contexte de la guerre en Ukraine et de ses impacts énergétiques. La demande de gaz naturel est forte, puisque les pays de l’Union européenne (UE) veulent se passer à moyen terme du gaz russe. De plus, Gazprom a fortement réduit ses livraisons de gaz à l’Europe. Et les prix de cette source d’énergie sont très élevés en ce moment. Ces conditions sont très favorables pour les exportateurs actuels ou pour des pays non exportateurs mais qui sont capables de le devenir dans un délai assez rapproché, ce qui est le cas du Congo.
Le duel RDC/Greenpeace
Enfin, en RDC, le ministère des Hydrocarbures a lancé à la fin juillet un appel d’offres international pour l’exploration de 30 permis, dont 27 sont considérés comme des blocs pétroliers et trois gaziers. Plusieurs de ces permis sont situés dans des zones sensibles sur le plan environnemental (tourbières et zones protégées), ce qui a suscité de vives critiques de la part de plusieurs ONG, dont Greenpeace. Dans une lettre adressée à plusieurs compagnies pétrolières, cette association a demandé qu’il soit mis fin « à la ruée néocoloniale vers les combustibles fossiles africains ». Cette vente aux enchères « ne se contente pas de tourner en dérision l’image de la RDC en tant que solution à la crise climatique, elle expose les Congolais à la corruption, à la violence et à la pauvreté qui accompagnent inévitablement la malédiction du pétrole (…) », a expliqué Greenpeace avec le sens de la nuance qui la caractérise. Pour faire pression sur les grandes compagnies pétrolières afin que celles-ci restent « à l’écart de la bombe à carbone du Congo », l’ONG a lancé une pétition qui a recueilli de l’ordre de 100 000 signatures. Cette intervention a généré une ferme réplique du ministre congolais des Hydrocarbures, Didier Budimbu Ntubuanga, qui a indiqué qu’une nation souveraine avait le droit de profiter de ses ressources naturelles et « donc nous les exploiterons ». Il a ajouté que, face aux 100 000 signatures, il y avait près de 100 millions d’habitants en RDC et que le pays n’allait pas « subir le diktat d’une ONG ». L’ambiance est donc très animée.
Il y a évidemment une grande différence entre les projets évoqués ici en Côte d’Ivoire, en Angola et en République du Congo, d’une part, et cet appel d’offres en RDC, d’autre part. Dans les trois premiers cas, il s’agit de développer des réserves qui ont été découvertes avec un horizon de mise en production entre 2023 et 2026. En RDC, il est question d’exploration, donc de risque (en termes géologiques). Il faut d’abord que le pays réussisse à intéresser un nombre significatif de compagnies pétrolières et que celles-ci présentent des offres pour certains des permis proposés par le gouvernement. Si cette première étape était franchie avec succès, ce que l’on saura entre octobre 2022 et février 2023 (en fonction des dates limites de remise des offres par les compagnies pétrolières), rien ne garantit que les travaux d’exploration qui découleraient des contrats signés déboucheraient sur des découvertes commerciales d’hydrocarbures. Et, si c’était le cas, la mise en production n’interviendrait pas avant plusieurs années, dans les hypothèses les plus optimistes.
Au-delà de ces différences fort importantes, le message est le même : plusieurs pays africains (ceux qui ont été évoqués ici et beaucoup d’autres) entendent tenter leur chance avec l’exploration pétrolière et/ou gazière et exploiter leurs ressources d’hydrocarbures s’ils en ont. Et ils n’ont pas l’intention qu’on leur mette des bâtons dans les roues. Ce message peut être critiqué mais il doit, au minimum, être entendu.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leur auteur.