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Opinion
En avril 2018, le président Donald Trump recevait, à la Maison-Blanche, le président nigérian, Muhammadu Buhari, qui venait d’annoncer sa candidature pour briguer un second mandat à la tête du Nigéria. La visite avait une valeur de première car, en effet, c’était la première visite officielle d'un dirigeant africain depuis l'investiture de Donald Trump. Les deux hommes tenaient à la réussite d’une telle visite :
--Trump voulait, d’une part, consolider les relations avec un pays qui vient de finaliser avec les USA le contrat d’achat de 12 Super Tucano, des avions de surveillance et d'attaque, portant sur 420 millions de dollars et, d’autre part, faire oublier les propos indécents qu’il avait eus à l’égard des pays africains quelques semaines auparavant. De plus, la rencontre ouvrait la voie à Trump pour évoquer le sort des agriculteurs chrétiens attaqués depuis le début de l’année par des pasteurs musulmans.
-- Buhari, qui venait d’annoncer sa candidature pour un deuxième mandat, voyait en sa visite aux USA un support significatif pour sa campagne et un soutien dans sa lutte pour la sécurité du pays ; domaine où il est vivement critiqué. Le « Oui » de Trump à la vente d’armes au Nigéria compensait le « Non » du président Obama en 2015 ; un refus qui avait été mal pris par le président nigérian, au point de le pousser à accuser les Américains d’aider Boko Haram.
A l’issue de la visite, le président américain avait loué l’excellence de sa relation avec le président Buhari, et souligné les efforts de ce dernier dans la lutte contre la corruption à la tête de la “plus grande démocratie d’Afrique”. Il avait, également, salué son “leadership” dans la lutte contre le terrorisme. De son côté, l’entourage du président nigérian avait communiqué sur la visite en des termes beaucoup plus amicaux que ceux réservés à celle de 2015, du temps du président Obama. Le président Buhari lui-même a remercié le gouvernement américain pour les mécanismes mis en place entre les procureurs généraux des deux pays pour collaborer afin d’assurer le rapatriement, au Nigeria, de plus de 500 millions de dollars américains disséminés dans des banques à travers le monde.
La brouille aura-t-elle raison de l’entente entre Washington et Abuja ?
Le 27 août 2018, le site the Guardian du Nigéria rapporte des informations publiées par le Financial Times, selon lesquelles le président Trump aurait qualifié son homologue nigérian Muhammadu Buhari de "sans vie" peu après une réunion entre les deux dirigeants le 30 avril. A la fin de la réunion, Trump aurait déclaré qu’il ne voulait plus jamais rencontrer une personne aussi "sans vie" que Buhari. La Maison-Blanche et Trump ne démentent pas l’information et la présidence du Nigéria se suffit d’une réaction somme toute sage et modérée, signalant qu’un tel comportement est habituel chez le président Trump à l’égard de plusieurs dirigeants. Le communiqué de la structure Médias de président nigérian avait rappelé, à ce sujet, les propos de Trump concernant le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, la chancelière allemande, Angela Merkel et le premier ministre britannique, Theresa May :
"Ce n’est en effet pas la première fois que le président Trump entend faire baisser les normes de respect de ses collègues sur la scène mondiale. Nous ne sommes pas surpris, nous savons que ce caractère séculaire du président américain ne changera pas de sitôt. Mais il est important de noter que le président Buhari reste en forme et en pleine forme, même pour la prochaine décennie".
Derrière cette brouille dans les relations entre le Nigéria et les Etats-Unis, se profile la question de la violence contre les chrétiens au Nigéria. Si la question avait été évoquée lors de la visite du président Buhari à la Maison-Blanche1, le côté américain n’a pas lâché prise et avait depuis accentué la pression sur le gouvernement nigérian. Du côté d’Abuja, les réactions, diverses et opposées, ne s’étaient pas faites attendre :
-- Au lendemain de la visite de Buhari aux USA, déjà, le directeur du «Muslim Rights Concern» (MURIC), le professeur Ishaq Akintola soulignait que l’ingérence de Trump dans les affaires internes du Nigéria était, non seulement préjudiciable et paroissiale, mais trainait les normes des relations entre présidents dans la poussière2.
-- Le Pasteur Bayo Oladeji, président de l’association des chrétiens au Nigéria, avait, quant à lui, apprécié l’intervention de Trump, en soulignant que le président américain avait montré à Buhari la meilleure voie à suivre. Le pasteur avait même menacé de pousser les chrétiens à se défendre et à sanctionner Buhari lors des élections de 2019 3.
Ce 20 août, David Young, l’adjoint au chef de mission et chargé d’affaires à l’ambassade américaine au Nigéria déclare que le règne de l’impunité au Nigéria encourageait les meurtres et les assassinats. Le diplomate américain ne mentionnait pas spécifiquement les chrétiens, mais la critique semblait se diriger vers le président Buhari accusé, par l’opposition, de ménager la communauté des peuls musulmans dont il est issu. Les déclarations de David Young interviennent un mois après l’organisation, à l’ambassade américaine, d’une cérémonie dédiée à honorer un Imam qui avait sauvé, des mains des bergers musulmans Foulani, 200 chrétiens qu’il avait cachés dans la mosquée où il officiait.
La violence entre les pasteurs musulmans et les agriculteurs chrétiens ne se limite pas à la brouille qu’elle risque de créer dans les relations entre les USA et le Nigéria. Elle s’invite, aussi, et avec insistance, à la pré-campagne électorale dans ce pays, et met à rude épreuve le président Buhari.
Si la communauté musulmane le supporte dans sa lutte contre Boko Haram, il le ferait moins s’il tente une action de répression touchant la communauté des bergers peuls. Au même moment, les communautés chrétiennes, maintenant soutenues par les Etats-Unis, menacent de boycotter le président et de le sanctionner lors des prochaines élections. Cet état de fait, peindrait aux couleurs confessionnelles les prochaines élections et menace de faire des quelques mois qui nous en séparent une période de forte turbulence au Nigéria.
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1 - Lors de la conférence commune à l’issue de la visite de Buhari à Washington, Trump avait précisé : « Enfin, nous sommes profondément préoccupés par la violence religieuse au Nigéria, y compris l'incendie des églises et le meurtre et la persécution des chrétiens. C'est une histoire horrible. Nous encourageons le Nigéria et les dirigeants fédéraux, étatiques et locaux à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour sécuriser immédiatement les communautés touchées et protéger les civils innocents de toutes les religions, y compris les Musulmans et les Chrétiens.»
2 - Le responsable du MURIC avait déclaré par la même occasion : "Tout ce que fait Trump, c’est utiliser la religion pour transformer le Nigeria en un autre Irak. Tout comme l’ancien président américain Bush a utilisé la dichotomie sunnite-chiite pour détruire l’Irak, juste pour mettre la main sur le champ pétrolier irakien, Trump est également attentif au pétrole du Nigeria. Son plan est d'utiliser la division entre Chrétiens et Musulmans pour mettre le feu au Nigeria. Mais, les Nigérians doivent se rappeler que des décennies après l'invasion de l'Irak, ce pays n'a pas encore connu la stabilité. Des années après l'assassinat de Kadhafi, la Libye doit encore trouver ses marques. Les armes à feu sont toujours en plein essor en Syrie et le monde se maintient à chaque fois que la Corée du Nord éternue. Nous soutenons que Trump attire les Chrétiens nigérians dans une confrontation plus audacieuse avec leurs voisins musulmans. Nous avertissons que la sous-région ouest-africaine sera ébranlée si les Chrétiens nigérians avalent les appâts de Trump. L'extension à la croisade du Nigeria of America, qui a entraîné des ruines en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye et au Soudan, aura des conséquences désastreuses sur l'ensemble du continent africain ». Voir : https://www.vanguardngr.com/2018/05/trump-misfired-remarks-killing-niger....
3 - Le pasteur avait clairement dit : « “Every time we tell them Christians are being killed, they don’t want to listen, but that is the truth. If the President cannot protect Christians, we have two options, we fight back : The law of the land permits self-defence. Secondly, come 2019, we vote him out. If he says there is nothing Christians can do, let him dare us.”