Publications /
Opinion

Back
La Guerre du Nil n’aura pas lieu ?
Authors
January 24, 2018

Sur fond de ballets diplomatiques et d’amassements de troupes sur les frontières, la crise du bassin du Nil, provoquée par le barrage « grande renaissance éthiopienne », semble à la bifurcation des chemins entre la guerre et paix. Les experts de la question soulignent en effet que les rapports entre les États dans le Bassin du Nil, oscillent entre confrontation et coopération et que l’évolution des relations et négociations sur la question de l’eau n’est pas stable puisqu’il existe des phases de résistance, de blocage et parfois de menace

Le changement de ton dans les relations entre pays autour des eaux du Nil résulte des mutations qu’ont connu les États riverains depuis les anciens traités et conventions et jusqu’à nos jours. Parmi ces mutations la croissance démographique générant une plus grande demande en eau ,le développement des techniques agricoles et des systèmes d’irrigation permettant la conduite des eaux du fleuve sur des distances plus grandes, et les développements de centres urbains plus consommateurs en eau que les structures rurales.

A cet aspect régional de la question, limité aux riverains, certaines zones du bassin du Nil présentent une importance géopolitique singulière qui alimente les convoitises entre pays étrangers à la région. C’est le cas des pays à la fois riverains du Nil et bordant la Mer Rouge (Éthiopie comprise, même si le pays n’a pas accès à cette mer). La question autour de l’eau se trouve donc étendue à des visions géostratégiques qui élargissent le champ de la coopération ou de la belligérance au-delà du bassin du Nil.

Le diffèrend, pour ne pas dire le conflit, qui surgit aujourd’hui entre l’Égypte, l’Éthiopie, l’Érythrée et le Soudan autour du barrage éthiopien sur le Nil bleu, ne peut éviter d’être greffé sur la situation géopolitique du Moyen-Orient dans sa globalité et celle de la Corne de l’Afrique dans sa complexité. 

Lorsqu’en novembre 2017, le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn s’est rendu au Qatar pour une visite officielle de deux jours, l’ordre du jour de la visite n’affichait que les investissements du Qatar en Éthiopie dans les domaines de la santé et de l’agriculture. Cependant le timing de cette rencontre offrait d’autres interprétations. Le Qatar vivait sous l’embargo auquel le soumettaient l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Égypte. Laquelle Égypte n’avait pas hésité à proférer des menaces d’intervention militaire pour empêcher l’achèvement de la construction du barrage éthiopien sur le Nil. La dégradation des relations entre le Qatar et les autres pays du Golfe qui appuient l’Égypte (antagoniste de l’Éthiopie sur la question du Nil) était l’opportunité à ne pas manquer par la partie éthiopienne pour se frayer un chemin dans le Golfe et s’allier les « adversaires de son adversaire égyptien ».

Plus récemment, en décembre, le président turc avait annoncé que le Soudan avait concédé la gestion de l'île de Suakin (Mer Rouge) à la Turquie contre des promesses d'investissements, de reconstruction et de coopération militaire. La Turquie compte en effet y installer une base militaire. Le Soudan est comme tous les pays du monde, certes, libre d’entretenir les relations avec les autres Etats à sa guise et selon ses intérêts. Mais il se trouve que la présence militaire turque aux portes de l’Égypte n’est pas vue d’un bon œil au Caire, où l’appui de la Turquie aux frères musulmans n’a jamais été apprécié. Même son de cloche à Ryad, que la relation Soudan/Turquie est loin d’enchanter. L’Arabie Saoudite y voit une tentative de faire sortir de son giron le régime de Khartoum au profit de la Turquie, un allié de taille du Qatar.

PCNS

Pour compléter le carré de la relation entre la Turquie, le Soudan et le Qatar, il suffit de souligner que l’Éthiopie, dont les relations avec le Soudan voisin sont excellentes, voit ses liens se renforcer avec le Qatar depuis la visite citée plus haut. Et comme l’attestent les différentes visites d’État échangées avec Ankara, l’Éthiopie est également un partenaire de choix pour la Turquie (voir encadré).

A l’autre coin du ring, se tiennent quatre autres pays : l’Égypte, allié de l’Érythrée, des Émirats Arabes Unis et de l’Arabie Saoudite. L’Égypte et l’Érythrée sont des pays du bassin du Nil et sont au même titre que l’Éthiopie et le Soudan concernés par les questions d’eau liées à ce fleuve. L’Arabie Saoudite et Les EAU, comme la Turquie et le Qatar, viennent greffer sur ce différend des questions géostratégiques plus liées à la Mer Rouge, au Golfe et au Moyen-Orient qu’à la problématique des eaux du Nil. 

Cette configuration en deux alliances prêtes à se battre me fait penser au papier que j’avais rédigé en guise de participation au Volume II des Dialogues stratégiques entre l’OCP Policy Center et HEC Paris,  et dans lequel je relevais trois dynamiques qui caractérisaient la région. Parmi les trois, la dynamique de guerre et celle des ingérences étrangères

Aux dernières informations, le Soudan, amassait des troupes sur sa frontière avec l’Érythrée qu’il accuse de se constituer en base avancée de l’Égypte, contre l’intégrité territoriale soudanaise. L’Érythrée et l’Éthiopie sont dans une situation plus proche de la guerre que de la paix. Entre l’Ethiopie et l’Egypte le discours sur le futur barrage éthiopien tangue entre  guerre et paix et les deux pays vivent une hostilité amicale . Dans ce conflit possible, s’ingèrent quatre autres pays étrangers à la région. La Turquie et le Qatar d’un côté, l’Arabie saoudite appuyée par les Emirats de l’autre. La grande question est donc de savoir si Les deux dynamiques, guerre et ingérence étrangère sont en marche ?

L’Ethiopie, pays du grand futur barrage, vit suffisamment de problèmes à l’intérieur pour pouvoir s’aventurer dans une guerre aux lendemains incertains. L’Egypte, principal antagoniste de l’Ethiopie, est dans la même situation : le pays doit garder un œil sur la Libye à l’est, sur le Sinaï et le terrorisme à l’ouest, et se garderait donc bien d’ouvrir un front au sud. Ce n’est qu’en 2011 que le Soudan est sorti d’une guerre qui a donné naissance à son voisin du Sud qui continue de vivre la guerre civile. L’Érythrée n’a pas les moyens de faire parler les armes, étant tenaillée entre le Soudan et l’Ethiopie. Pour les pays du Golfe et la Turquie, ils semblent bien occupés dans d’autres conflits, Syrie pour la Turquie et Yémen pour l’Arabie saoudite et les Émirats. En dépit des apparences et quelques gesticulations guerrières, il semble donc bien que la Guerre du Nil n’aura pas lieu.

RELATED CONTENT

  • May 26, 2020
    يتطابق القرن الواحد والعشرين مع "المرحلة القصوى" للعولمة عبر كل أبعادها في مجالات الإنتاج والتبادل والتكنولوجيا والثقافة. ومع تقدمها السريع أصبحت العولمة أكثر "تعقيدا" ومحملة بكثير من "اللايقين". هكذا أصبح الغير متوقع السمة الغالبة للتطورات الجيوسياسية والاقتصادية في عهدنا. لقد عرف العالم منذ بداية القرن، أي خلال عشرين سنة فقط ثلاثة هزات قوية وغير متوقعة. أولها تمثل في حدث جيوسياسي غير مسبوق عبر اعتداءات 11 شتنبر 2001 التي ضربت مدينة نيويورك، والثانية تمثلت في الأزمة الاقتصادية لس ...
  • May 23, 2020
    Par ces temps de Coronavirus, l’éducation, au Maroc, comme partout ailleurs à travers le monde, est amenée à se tourner vers des alternatives à distance. Certains voient en ce changement un risque de creusement des inégalités déjà existantes en matière d’accès, de qualité et de rétention. D’autres, saisissent cette nouvelle expérience pour ouvrir les voies de l’innovation et de la massification d’une éducation de qualité pour tous. Or, ces opportunités offertes, et ses souhaits expr ...
  • Authors
    Kwamboka Kiangoi
    May 22, 2020
    For Africa, this new decade began full of promise to achieve the 2030 deadline for the Sustainable Development Goals and on its way to realising the goals and priorities of Agenda 2063. With the entry of the intra-African trade from the African Continental Free Trade Area (AfCFTA) Agreement, which comes into effect on July 1st 2020, an estimated combined gross domestic product (GDP) of more than US$3.4 trillion expected to trickle in the Continent. This revenue estimation is good ne ...
  • Authors
    May 22, 2020
    On February 3, 2003, Colin Powell, U.S. President George Bush’s Secretary of State, informed the United Nations Security Council about secret information collected by the U.S. about Iraq’s weapons of mass destructions. “Every statement I make today is backed up by sources, solid sources. These are not assertions,” he said. There was “no doubt in my mind” that Saddam Hussein had a nuclear weapons program, and the invasion of Iraq was urgent and justified, because “the gravity of this ...
  • May 22, 2020
    The COVID-19 pandemic poses unprecedented challenges to the international community and is due to heavily impact the global economy in the short and long run. The virus has infected over 4 million people and caused almost 300.000 casualties globally. During its spreading, mass productio...
  • Authors
    Sabine Cessou
    May 22, 2020
    He is a young man like no other. One can spot him easily in a crowd by the way he dresses and addresses the issues with which he is concerned. Leonardo Párraga, an award-winning social entrepreneur and alternative education activist, was born in Colombia with the soul of an artist. He writes poetry, engages with photography, and finds inspiration in the writings of Walt Whitman, whom he describes as the poet of “interconnectedness”. At 25, he left Bogotá for Harvard University, for ...
  • Authors
    May 22, 2020
    This paper takes a comparative look at Sudan, Morocco, and Algeria, at the rise of Nubian and Amazigh rights groups, and their attempts to redefine national identity. We examine: 1/ how Nubian rights groups have sparked what is being called a Kushite revival in Sudan, and are pushing for a change in educational policy and archaeological practice to engender a new historiography and national narrative; 2/ how Amazigh movements in Morocco and Algeria are similarly trying to expand con ...
  • Authors
    May 21, 2020
    S'il y a un point positif dans cette pandémie de COVID-19, c'est la prise de conscience de l'importance de ce qui nous est le plus cher : la sécurité alimentaire et les fondements de l'espoir. Sécurité alimentaire : Ceux d'entre nous qui jouissent de la sécurité alimentaire réalisent à quel point nous dépendons de chaque maillon de la chaîne agroalimentaire. Pour les citadins, un des premiers signes que cette chaîne est rompue est la présence de rayons vides - pénurie d'approvisio ...